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Macron, coronavirus, mépris de classe et vie dans les bois : Thoreau est-il le véritable Raoult ?

Le 23 septembre dernier a été annoncée la fermeture des bars et restaurants de la métropole d'Aix-Marseille, une mesure vivement contestée au niveau local notamment par les élus qui se sentent méprisés par le gouvernement. Et ça m'a rappelé quelques cours de Philo ...

Mercredi 23 septembre, le gouvernement a annoncé la fermeture des bars et restaurants à Marseille et Aix-en-Provence, ainsi qu’en Guadeloupe, une mesure vivement contestée par les élus locaux et les commerçants. Déjà tendu, le dialogue entre Paris et Marseille est devenu quasiment menaçant. Les élus marseillais ont réclamé un sursis et contesté cette décision en justice. Derrière les questions économiques et politiques, un débat ancien sur le rapport entre Paris et la « province » et entre gouvernants et gouvernés.

Une guerre des classes ancienne

Le noeud du problème est là : historiquement, il y a toujours eu Paris et le reste de la France. Paris et la province, Paris et la Corse, Paris et Marseille. Benoît Payan, 1er adjoint de la toute nouvelle mairesse de Marseille Michèle Rubirola, s’est longuement exprimé à ce sujet. En effet, du point de vue des élus marseillais et aixois, la décision qui a été prise de fermer les bars et restaurants est en inadéquation avec la réalité de la situation (qu’ils jugent loin d’être catastrophique, avec des chiffres en baisse et des hôpitaux loin d’être saturés, ce qui n’est pas l’avis du gouvernement), injuste (compte-tenu, selon les mots de Benoît Payan, des efforts faits par tous pour limiter la propagation du virus et tester le plus de monde possible – même si les marseillais restent assez détendus sur la question du masque) et surtout méprisante. Le sentiment d’être méprisé, c’est ce qui revient le plus. En effet, il semble que le gouvernement n’ait pas contacté les élus locaux avant de prendre sa décision. Olivier Véran, ministre de la santé, a répondu à la prise de parole de Benoît Payan que « concerter ne veut pas dire tomber d’accord. » Certes, mais une concertation aurait déjà été un début, et le point de départ d’une discussion qui aurait pu amener à un accord de toutes les parties concernées.

Alors que le climat sanitaire mais surtout moral est plus que tendu, cette décision déchaîne les passions chez les marseillais déjà fragilisés par deux mois et demi de confinement et un après-confinement qui a mis à mal les commerces et le monde de la Culture (avec l’annulation de nombreux évènements comme la foire de Marseille) dans cette ville qui mise beaucoup là-dessus.

Je ne suis pas apte à commenter des décisions qui dépassent mes connaissances tant scientifiques qu’économiques. Mais pour moi cette décision que beaucoup qualifient « d’unilatérale » est symptomatique du mépris de classe affiché par Macron et son gouvernement depuis les premiers jours de son élection. Il y a quelques jours encore, Sibeth Ndiaye, depuis peu ex porte-parole du gouvernement, auditionnée par le Sénat à propos de la gestion de la crise sanitaire, affirmait ne pas hésiter à mentir pour « protéger » Emmanuel Macron. Ne se trompe-t-elle pas de siècle et de régime ?

Dans un article du Figaro* daté du 28 septembre, la sémiologue Elodie Mielczareck souligne que les mots des gouvernants traduisent souvent un mépris pour les gouvernés. Elle pointe notamment du doigt le gouvernement Macron, avec comme point départ une phrase lâchée par Sibeth Ndiaye (encore elle). Pour elle, « la hiérarchisation verticale est un invariant des prises de paroles gouvernementales. »

« S’il est un schème particulièrement caractéristique de ses discours, c’est celui de la verticalité », dit Elodie Mielczareck à propos du Président, soulignant que celle-ci est présente depuis les premières heures de son mandat, de manière symbolique dans la pyramide du Livre. Toujours dans cette idée de verticalité, l’historien Gérard Noirel précise que les mots utilisés par le Président sont « empruntés au langage forgé par l’Eglise médiévale » (quand je vous disais qu’il y avait un souci de temporalité …), avec le haut (les gouvernants) et le bas (le peuple) sans intermédiaire. Evidemment, dans l’idée, ceux du bas sont des cons qui n’arrivent pas à se mettre en marche (« quand on veut on peut »). Bref, des paroles significatives d’un mépris de l’autre, lancées souvent par nos politiques. Et pour Elodie Mielczareck, il ne s’agit pas d’un manque de tact mais bien d’un acte volontaire (je dirais plutôt d’un acte manqué …).

« Dans quelques années, elle /la posture du gouvernement/ servira d’exemple pour illustrer ce qu’il ne faut surtout pas faire en situation de négociation, de ce qu’il ne faut surtout pas faire lorsqu’on souhaite augmenter son intelligence situationnelle. » Pour Elodie Mielczareck, le gouvernement actuel commet plusieurs erreurs : il encourage une société de défiance plutôt que de confiance, il cultive le rabaissement personnel (« quand on veut on peut » donc si on ne peut pas c’est qu’on est simplement idiot ou flemmard) et il favorise la non-transparence.

Une posture de supériorité qui fait dresser le poil de certains.

La désobéissance civile sola sperenza ?

Nombreux sont ceux qui appellent à la révolte. D’un point de vue philosophique, cela se défend. Selon Henry David Thoreau, si une l’on juge une loi injuste ou mauvaise, on a le devoir d’en proposer une meilleure. C’est ce qui est développé dans De la désobéissance civile (1849)* : pour Thoreau, la désobéissance civile, pacifique, a pour but l’instauration d’un meilleur gouvernement. Le but de cet ouvrage est alors de pousser les citoyens à la réflexion concernant les lois de leur propre pays car, après tout, comme l’écrivait La Boétie (Discours de la servitude volontaire, 1574), la domination d’un petit nombre sur un plus grand n’est possible que parce-que le grand nombre y consent, collabore, activement ou non.

Henry David Thoreau

Pour Thoreau, l’action de résistance mène à l’homme vrai, c’est-à-dire un peu le contraire du salaud de Sartre, un citoyen plutôt qu’un sujet. Thoreau invite à développer sa pensée critique, au non conformisme, à vivre en homme (n.b : cela s’applique aussi aux femmes, évidemment) de principe maître de sa pensée et de ses choix. Il invite à développer une pensée radicale et novatrice, même si cela doit nous conduire en prison. Pour lui, la capacité à s’indigner est primordiale, car, pour reprendre les mots de La Boétie, « un peuple de moutons fait un gouvernement de loups ». Thoreau écrit d’ailleurs, en des termes qui rappellent Le discours de la servitude volontaire et le Liévathan (Thomas Hobbes, 1651) : « L’autorité du gouvernement, même celle à laquelle j’accepte de me soumettre – car je consens avec joie à obéir à ceux qui peuvent faire mieux que moi et, dans un bon nombre de cas, à ceux qui ont moins de connaissance et ne peuvent pas faire aussi bien que moi -, cette autorité est encore impure : pour être rigoureusement juste, il faut qu’elle ait le consentement et l’approbation des gouvernés. »

C’est donc chez Thoreau l’indignation qui mène à la résistance qui, pour le philosophe, se fait à la fois ponctuellement contre une loi (comme il l’a fait) mais implique aussi d’être perpétuellement en lutte. Thoreau invite l’individu à se dresser contre les forces constitutives de la modernité qui façonnent la société en son temps, celui de la révolution industrielle (déjà à l’époque, il rejette le consumérisme). Une pensée qui est donc tout à fait adaptable à notre époque. Rappelons que Thoreau prône la vie dans les bois, seul ou en groupe (pour cueillir des airelles de manière communautaire notamment).

Mais attention : Thoreau ne doit pas, selon moi, être lu comme un individualiste au sens moderne du terme, car la désobéissance civile est pour lui un fonctionnement de l’esprit qui invite à ne pas se laisser bêtement porter voire dévorer par le capitalisme et/ou un gouvernement dont les lois ne sont pas forcément légitimes (on fait le lien ici avec la différence entre ce qui est légal et ce qui est légitime), à ne pas être un mouton, bref à rester un être pensant, qui ne s’aliène pas au nom d’un Etat.

Je pense que nous sommes des êtres avant d’être des sujets.

H. D. Thoreau, La désobéissance civile, 1849

Thoreau ne rejette pas catégoriquement le gouvernement. Il écrit à ce propos que pour lui « le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins », rejoignant ainsi l’idée plutôt anarchiste de faire confiance au peuple pour s’auto-gérer un maximum, d’où la nécessité d’inciter chacun à développer sa conscience, sa culture, ses compétences … afin de devenir un citoyen avisé.

Thoreau ne demande pas la suppression du gouvernement mais « dans l’immédiat l’instauration d’un meilleur gouvernement ». Il écrit : « Que chacun fasse connaître le type de gouvernement qui lui inspire du respect et ce sera un pas en avant vers son obtention. » Notons que c’est une forme de reconnaissance de la majorité. Une invitation à l’action par la parole (car il s’agit de résistance pacifique), à la conscience philosophique et politique, à rester en alerte (car qui ne dit mot consent) pour ne pas illustrer la sombre prédiction de La Boétie. Il place ainsi au centre du gouvernement la conscience plutôt que la majorité. Et de se questionner, dans la dernière page de son essai :

Est-ce que la démocratie telle que nous la connaissons est la seule forme de gouvernement possible ? N’est-il pas possible de faire un pas de plus vers la reconnaissance et l’établissement des droits de l’homme ? Il n’y aura jamais un Etat foncièrement libre et éclairé tant que cet Etat ne reconnaîtra pas l’individu comme une puissance supérieure et indépendante d’où découlent son propre pouvoir et sa propre autorité, et n’agira pas en conséquence. Je me plais à rêver d’un Etat qui pourrait enfin se permettre d’être juste envers tous les hommes et de traiter l’individu avec le respect dû à son prochain; un Etat qui en vérité ne trouverait pas incompatible avec sa tranquillité l’existence de quelques-uns qui choisiraient de vivre en marge, sans se mêler de ses affaires ni se laisser séduire par lui, et qui rempliraient tous leurs de devoirs de bons voisins et de bons citoyens. Un Etat qui produirait ce genre de fruit et accepterait de le laisser tomber dès qu’il est mûr, cet Etat-là préparerait la voie à un Etat encore plus parfait et brillant, que j’ai déjà également imaginé, mais que je n’ai encore jamais vu nulle-part.

Thoreau remet en question la notion de justice et de légitimité. Il écrit : « La loi n’a jamais rendu les hommes un brin plus justes; et au nom de leur respect pour cette loi, même les mieux intentionnés se font quotidiennement les agents de l’injustice. » En effet, s’il considère que ce n’est pas le devoir de l’homme de lutter contre les injustices, c’est son devoir d’au moins ne pas « s’en laver les mains » et de ne pas leur donner concrètement son soutien, un soutien indirect quand on refuse de penser à l’injustice en question ou pire si on la soutient sans le faire exprès (« si je m’engage dans d’autres activités et d’autres sujets de méditation, je dois m’assurer au moins que, ce faisant, je ne suis pas juché sur le dos d’un autre », à défaut d’un soutien direct. Pour lui, la prison (dans laquelle il a séjourné) est le lieu des justes car l’Etat y enferme ceux qui sont déjà hors de l’Etat du fait de leur pensée anti-conformiste. « L’Etat n’affronte jamais délibérément l’intelligence et la conscience morale d’un homme et ne s’en prend qu’à son corps et à ses sens. » Heureusement donc, qu’il reste la conscience et la parole.

Thoreau, il est vrai, a un côté très américain dans sa manière individualiste de penser (encore une fois, il ne faut pas prendre ce terme dans le sens moderne d’égoïste). Ainsi il refuse de payer toute sorte de taxe car il estime que ce n’est pas à lui de payer pour le bon fonctionnement de l’Etat, de la machine sociale, et surtout de l’Eglise qu’il ne fréquente pas. Il invite à rester en adéquation avec sa conscience : « On ne peut pas être trop sur ses gardes (…); il ne faut pas laisser infléchir ses actes par l’entêtement ou par un souci inconsidéré de l’opinion des hommes. Il faut veiller à ne faire que ce qui se rapporte à soi et aux circonstances. »

Je tiens à respirer à mon rythme. Si une plante ne peut pas vivre selon sa nature, elle dépérit. Il en va de même pour l’homme.

H. D. Thoreau, La désobéissance civile, 1849

Enfin, la pensée de Thoreau, si elle invite à la résistance, demeure pacifique. Ainsi le philosophe considère les gens comme étant souvent bien intentionnés mais ignorants, raison pour laquelle ils risquent de mal se comporter (principe de charité oblige).

Pour conclure …

Pour rester dans la lignée de notre article sur l’existentialisme, concluons que la résistance par la parole reste l’arme la plus sûre.

On résiste à l’invasion des armées, mais pas à l’invasion des idées.

Victor Hugo

Pour creuser :

La désobéissance civile, Henry David Thoreau, Le mot et le reste, 2019

Article du Figaro :

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/un-defaut-d-acculturation-scientifique-de-la-population-francaise-que-revelent-les-propos-de-sibeth-ndiaye-20200928?fbclid=IwAR3-sbfjwxD9jJWwwRorU-lC72XgsoXFk8jcKAEfboIq8meA7X3Lx6hj6X0

Définition du principe de charité :

http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/Principe%20de%20charit%C3%A9/fr-fr/

Page Facebook « Renommer la plage du Prophète en Plage du Professeur Raoult »

https://www.facebook.com/Renommer-la-plage-du-Proph%C3%A8te-en-Plage-du-Professeur-Raoult-113179550323128/

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