corbeau redon

Les petits noirs d’Odilon Redon – Spécial Halloween

Une fois n'est pas coutume, je viens encore vous parler d'un artiste du XIXe siècle ! Et pour cet article spécial Halloween, j'ai évidemment choisi de vous parler de quelqu'un de bizarre, Odilon Redon, et plus particulièrement de ses petites étrangetés en noir ...

Artiste attaché au courant symboliste né à Bordeaux en 1840, Odilon Redon est de santé fragile (ce qui est pratiquement un pré-requis chez les artistes), épileptique, et grandit dans les terres familiales entre Bordeaux et la campagne, dans un environnement bourgeois et croyant. Enfant, il dessine et reçoit même un prix. Adolescent, il prend des cours de dessin et découvre des artistes tels que Jean-Baptiste Corot, Eugène Delacroix, Francisco Goya et Gustave Moreau (chef de file des Symbolistes). Il s’intéresse également à la botanique et à la biologie, ainsi qu’à la Littérature, et notamment à Charles Baudelaire, Gustave Flaubert et Edgar Allan Poe (à qui il dédiera plus tard une série de lithographies), mais aussi des textes de l’Hindouisme et du Boudhisme. Ses parents l’envoient étudier l’architecture à Paris. Bien qu’il n’aime pas ces études, cela a certainement contribué au développement de sa future carrière d’artiste. Il commence à se consacrer véritablement au dessin et à la gravure et fréquente les milieux artistiques parisiens. Il rencontre Delacroix, copie des oeuvres du Louvre (un exercice traditionnel pour les jeunes peintres), et échoue à l’entrée de la section architecture des Beaux-Arts. Il fait aussi partie de la vie culturelle bordelaise, où il expose pour la première fois. Il décide d’étudier la sculpture, rencontre Camille Corot, et entre dans l’atelier de Jean-Léon Gérome. L’année suivante, à 25 ans, il étudie à Bordeaux le dessin et la gravure, et découvre Dürer et Rembrandt. C’est le début d’une carrière qui peinera à démarrer mais connaîtra une grande postérité.

Outre les influences des classiques (l’Antiquité ou des artistes tels que Rembrandt), il est très influencé par le contexte artistique de son époque, qui est foisonnant, ainsi que par les découvertes scientifiques, notamment le traité de Charles Darwin sur l’évolution des espèces et la science des rêves. Il est aussi appelé à combattre en 1870 dans la guerre franco-prussienne, une expérience certainement traumatisante qui transparaîtra dans ses oeuvres.

Les noirs

Pendant une grande partie de sa carrière, Redon peint, dessine, et grave en monochrome. Pour lui le noir est « l’agent de l’esprit » bien plus que la couleur, qui plaît à l’oeil et éveille la sensualité, et donc détourne du coeur du sujet.

Ainsi, ses « noirs », comme il les appelle, sont une série de lithographies qui ont contribué à le faire connaître à ses débuts. Des dessins monochromes, au fusain et à l’encre noire, qu’il préfère sur papier blanc. Ces lithographies, qu’il s’agisse d’illustrations de textes d’écrivains célèbres qu’il affectionne tels Edgar Allan Poe, Gustave Flaubert ou Goya ou de reproductions de ces propres oeuvres, lui permettent de gagner sa vie, alors que ses oeuvres originales ne trouvent pas preneur et que sa famille connaît un revers de fortune. Le fond est plus ou moins travaillé, l’image est parfois rayée, grattée pour créer un mouvement, comme dans sa série dédiée à Allan Poe.

Le corbeau, série à Edgar Allan Poe
Un masque sonne le GLAS FUNEBRE, série à Edgar Allan Poe

Joris Karl Huysmans, qui, dans sa Bible des Symbolistes A rebours (1884), mettra les oeuvres de Redon en bonne place dans la collection de son héros dandy Des Esseintes, contribuera à la célébrité du peintre.

Il écrit déjà à propos du peintre, qu’il vient de découvrir, dans L’art moderne en 1881 : « Un autre artiste s’est récemment affirmé (…) Ici, c’est le cauchemar transporté dans l’art. Mêlez dans un milieu macabre, de somnambulesques figures ayant une vague parenté avec celles de Gustave Moreau, tournées à l’effroi, et peut-être vous ferez-vous une idée du bizarre talent de ce singulier artiste. »

Les noirs de Redon sont-ils donc monstrueux ? Oui. Mais ces « monstres » ne sont pas toujours effrayants. Chez Redon, même les sujets macabres (la tête d’un décapité par exemple, ou un squelette) sont empreints de douceur, à la fois dans les traits et dans le traitement. Paul Gauguin dira très justement : « Je ne vois pas pourquoi on dit qu’Odilon Redon peint des monstres. Ce sont des êtres imaginaires. C‘est un rêveur, un esprit imaginatif. » Les monstres d’Odilon tiennent à la fois des peuplades des rêves d’un dormeur mélancolique et de l’imaginaire tortueux d’un dandy « nécroman » et cauchemardeur (cf Huysmans).

Araignée souriante

Dans cette série des « noirs », Redon laisse une grande place au rêve et à l’imaginaire, mais aussi à la science et à la Littérature. On y voit une araignée dansante au sourire carnassier, un oeil-montgolfière, un oeuf au visage humain, un homme portant un dé à coudre géant … assortis de titres intriguants tels quel « L’oeil, comme un ballon bizarre se dirige vers L’INFINI » (série dédiée à Allan Poe), « La fleur de marécage à tête humaine et triste » (série dédiée à Goya) …

L‘oeil, comme un ballon bizarre se dirige vers L’INFINI, série à Edgar Allan Poe

Redon se dédiera à la couleur vers les années 1890/1900, après la naissance de son fils, et jusqu’à la fin de sa vie, avec des commandes de fresques notamment et beaucoup de sujets mythologiques ou religieux qui rappellent Gustave Moreau, ou encore des natures mortes de fleurs, avec des couleurs très vives et lumineuses (il dira plus tard qu’il n’a pu, après avoir épousé la couleur », revenir au noir du fusain d’autrefois, et parle de « rupture » avec cette matière). Il dira avoir fait « résonner la tonalité de la joie dans la couleur » …

Le char d’Apollon, 1908

Unsolicited Opinion

Partager

Découvrez d'autres publications :

I Sanguinari

Le mois d’octobre a Halloween, le mois de novembre la Sant’Andria. Alors, pour inaugurer ce mois des morts en beauté, je partage avec vous une série de photos réalisée en 2011 au coucher du soleil intitulée « Sanguinari ». Jamais les Sanguinaires n’ont si bien porté leur nom …

Voir la suite »