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Seins, chaleur et féminisme

Je vous ai déjà parlé des fesses, aujourd'hui je reviens pour vous parler des seins. De rien.

On est tous plus ou moins d’accord pour dire que les seins, c’est chouette. Déjà c’est bien utile quand on a un bébé. Et puis ça a une forme rigolote. Ça peut aussi être bien pratique pour attirer l’attention dans un bar. Mais alors, pourquoi on les cache ?

Les petites marguerites, 1966

Il y a quelques semaines, à Marseille, il faisait encore très chaud. Attablée au soleil avec une amie, je sirotais un Pac citron quand l’un des hurluberlus qui peuplent cette ville est venu se planter à côté de nous. Il s’était déjà arrêté à toutes les tables voisines et il était inévitable qu’il s’arrête à la nôtre. Il s’est extasié sur nos téléphones portables et le paquet de cigarettes posé sur la table et nous a proposé 100 euros pour le tout, ce que nous avons poliment décliné. Nous avons enchaîné sur l’échange suivant :

Lui (d’une voix rauque et machônnante) : « Allez, au-revoir ! Et caressez-vous les tétons ! » 

Moi : « Bonne journée, Monsieur. Oui, ce serait fait, merci. » 

Lui (saisissant l’opportunité) : « Vous voulez pas caresser les miens ? »

Moi : « Non. Merci. » 

Il s’en est allé, non sans avoir jeté à mon décolleté (qui ne l’était pas) un regard intense (plus précisément, ses yeux se sont écarquillés et sa bouche s’est ouverte comme dans un cartoon). Je n’ai rien dit car il était clairement fou à lier … Il a continué son chemin parmi les terrasses. 

Cette petite intro ne visait pas à faire un portrait des étranges personnes que l’on peut croiser dans la cité phocéenne (elles sont nombreuses mais je garde ça pour un prochain article) mais à attirer l’attention du lecteur sur un intéressant concept : les seins (et là normalement je devrais avoir votre attention).

Commençons par définir le sujet. Le dictionnaire Larousse énonce : « Organe pair très développé situé à la partie antérieure du thorax chez la femme, et qui contient la glande mammaire. » Par extension : « Buste; siège de la conception; refuge que constituent les bras de quelqu’un, son écoute, sa tendresse; partie interne qui renferme quelque-chose. » Bon, maintenant que nous sommes tous au même niveau de compréhension, continuons. 

Cachez ces seins que je ne saurais voir ! 

Quelques jours après cet épisode, je suis rentrée à Ajaccio. Et il faisait toujours très chaud. Comme je devais rejoindre une amie pour boire un café (et donc m’exposer en société), j’ai été confrontée à un choix cornélien concernant ma tenue, c’est-à-dire : porter un débardeur qui nécessitait de ne pas porter de soutien-gorge, et donc de laisser deviner la forme de mes seins sous le tissu (doublé, opaque), ou porter un chemisier très décolleté mais qui au moins montrait bien que je portais un soutien-gorge. J’ai choisi la deuxième option. J’ai choisi d’avoir chaud. 

Je me suis détestée. Comment osais-je me dire féministe, écouter des groupes de punk féminins (dont je vous parlerai, d’ailleurs), citer le Deuxième sexe … et me plier ainsi aux conventions sociales concernant mes propres seins ? 

Les petites marguerites, 1966

La représentation des seins pose problème (régulièrement des femmes soulignent que Facebook supprime des photos et récemment, mon post Tumblr d’une photo ancienne d’une femme enveloppée dans des voiles translucides a été censuré). Je me rappelle d’un débat organisé par l’association féministe de Sciences Po qui avait pour sujet « Le féminisme comme extrémisme : le cas des Femen », durant lequel j’avais été déçue de constater que les prises de paroles avaient tourné plus autour des seins que de la violence ou des idées. Le scandale, c’est ce sur quoi jouent les Femen justement à chacune de leur action, en se promenant les seins-nus, des slogans écrits sur la poitrine. Elles jouent également sur une zone un peu grise du droit. En effet, théoriquement, une femme a le droit de se promener seins-nus dans la rue, comme un homme. Dans les faits, il y a de fortes chances qu’elle soit arrêtée pour attentat à la pudeur. D’où le débat sur l’allaitement dans l’espace public par exemple. Pourquoi le fait qu’une femme allaite un bébé est-il perçu comme un outrage ? Il faudrait peut-être voir à démêler ce qui est dangereux de ce qui ne l’est pas. Les seins représentent-ils donc une si grande menace ?

Pourquoi les seins font-ils scandale ?

Etrangement, il semble que le point crucial du problème soit le téton. Ainsi, il n’est pas rare de voir, sur les photos de certaines marques de lingerie, des filles souriantes, levant fièrement vers le ciel de petits seins très ronds enveloppés de dentelle transparente … sans tétons. Etrange … Car s’il est bien un point commun, et donc un point d’égalité, entre les seins des femmes et ceux des hommes, c’est le téton. J’aurais bien voulu vous montrer un post que j’avais vu qui mettait côte à côte celui d’un homme et celui d’une femme pour montrer la difficulté de les différencier mais mes recherches Internet ne m’ont pas menée vers le genre d’articles que j’espérais, alors vous devrez chercher tous seuls (entre autres vidéos pornos, je suis notamment tombée sur pas mal d’exemples de piercings et sur un article Marie Claire sur les différentes formes de tétons qui existent – apparemment, il en existe 8 formes différentes- et en ajoutant « féminisme » à ma recherche j’ai appris que les faux tétons étaient « la tendance de l’été 2017 » – est-il besoin de souligner que pour obtenir le même effet on peut aussi simplement de pas porter de soutien-gorge ? – … de faux tétons pointant sous un débardeur valent apparemment mieux que des vrais …).

D’où une question : mais pourquoi diable les seins des femmes font-ils donc à ce point scandale (au point qu’on préfère coller des faux tétons par-dessus) ?

D’une part, parce-qu’ils sont fondamentalement liés à l’intime. Les seins, c’est d’abord ceux de la mère (oui, c’est bien de ta mère que je parle). C’est la maternité, l’enfantement, l’allaitement … Rappelons-nous la définition du Larousse : les seins, en-dehors de leur fonction très technique de biberon, désignent aussi l’étreinte, l’affection … ils sont rassurants. Ils nous ramènent à plus loin que notre prime enfance. Les seins, c’est une sorte de fondamentalité. D’autre part, les seins sont fortement sexualisés (ouch, comment ose-t-elle dire ça après avoir parlé de ma maman ? Beurk !). Je ne vais pas m’étendre sur les raisons car ce n’est pas mon propos (et puis je ne suis ni sociologue ni psychanalyste), mais les faits sont là. L’idée est aussi, plus que de cacher ce qui dans la pensée générale est placé sur le même plan qu’un organe reproductif, que si les femmes montrent leurs seins les hommes risquent de devenir fous sur leur passage (et si elles se font violer, elles l’auront bien cherché ces salopes). Soulignons que c’est sexiste et vexant pour les hommes, qui ne sont tout de même pas des animaux (on rejoint l’argumentaire concernant les « pulsions » incontrôlables auxquelles les homme seraient soumis qui ne font que renforcer la culture du viol – dont je vous parlerai aussi -, en renvoyant les hommes à une animalité fantasmée et fondamentalement violente contre laquelle ils ne pourraient pas lutter – les hommes seraient ainsi essentiellement des violeurs potentiels – et en contribuant à l’idée que les femmes doivent se couvrir pudiquement pour éviter toute agitation).

Ainsi, dans notre société (car ce n’est pas le cas partout) les seins appartiennent au domaine de l’intime. Il faut donc qu’ils restent intimes, c’est-à-dire privés, cachés (sauf sur la plage mais c’est une autre histoire).

Un de mes tableaux péférés du monde : Phryné de José Frappa
Phryné était une hétaïre qui fut traînée en justice par un ex-amant jaloux et se tira d’affaire en exhibant ses seins devant l’auditoire, qui s’accorda sur le fait qu’effectivement, on ne pouvait passer à côté de ça en l’exécutant en place publique

Enfin, dernier point et non des moindres, couvrir les femmes (mais les découvrir quand on en a envie) a toujours été l’un des chevaux de bataille des hommes au cours de l’Histoire. Décider de ce que les femmes peuvent ou doivent montrer de leur corps, ne pas leur laisser le choix (du moins un choix total), et ne pas leur accorder les mêmes droits qu’aux hommes, c’est asseoir une forme de domination ancienne sur elles. Décider aussi de ce qui est ou non un canon de beauté (donc de ce à quoi le corps féminin doit ressembler) participe de ce processus. C’est un véritable enjeu de pouvoir, et une tendance que les féministes essaient d’inverser depuis longtemps.

Finalement, il n’y a que sur la plage que tout le monde est égal (oui, même si vous pensez que tout le monde vous juge pour vos poils, la graisse accumulée par toutes les soirées raclette et vin chaud au marché de Noël dont vous n’avez pas encore réussi à vous débarrasser ou vos pieds tordus, ce n’est pas le cas, en fait tout le monde a autre chose à faire que vous scruter – oui, même à Ajaccio -). La plage, ce lieu ou les règles de la décence prennent le large, où les culottes rétrécissent jusqu’au minimum syndical, où même les hommes roulent leurs maillots pour avoir un bronzage plus harmonieux, où les seins sont gaiment libérés du carcan étroit du soutien-gorge à balconnet, a toujours été, à défaut de la rue, le lieu de la libération des femmes. L’évolution des mentalités s’est toujours mesurée dans la taille du maillot de bain. Ajaccio est dans ce domaine une ville très égalitaire puisque les corps, tant féminins que masculins, se dénudent (parfois totalement du côté gauche de Capo) sur la plage mais se couvrent dans la rue, un arrêté municipal ayant été mis en place pour éviter que les touristes se baladent en slip de bain dans les supermarchés …

Les petites marguerites, 1966

En attendant, l’hiver s’est installé, réglant par là mon problème de seins, puisqu’il fait désormais trop froid pour sortir autrement qu’emmitouflée dans un pull épais et opaque, pull assorti à une mini-jupe dans un souci d’équilibre, de style et de féminisme.

*Je n’ai pas eu trop de mal à trouver des illustrations pour cet article car l’Histoire de l’Art est remplie de femmes nues

Liens utiles :

https://www.guerrillagirls.com/

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