la vie

La science expliquée par les littéraires : Maldoror et la biodiversité du corps

Pour le 2ème épisode de mon feuilleton « La science expliquée par les littéraires », je vous propose une explication du fonctionnement du corps humain d’après un passage des Chants de Maldoror, le fameux (et unique) roman de l’éphémère Comte de Lautréamont.

Pourquoi le corps est un écosystème ?

Vous avez sûrement toujours considéré votre corps comme une extension de votre esprit; votre cerveau, votre coeur et votre corps comme trois parties d’un même tout. Et la puissance du mental, vous y avez cru à la puissance du mental sur le corps ! Mais en fait, vous êtes beaucoup moins maitre de votre corps que ce que vous pensez. En effet, notre corps abrite un nombre incalculable d’hôtes étrangers, les bactéries, qui trouvent dans le corps humain un accueil au poil, avec le gîte et le couvert. Ainsi à l’intérieur du corps humain on compte environ 500 espèces de bactéries différentes. Il y a 10 fois plus de bactéries que de cellules de notre propre organisme dans notre corps et 90% de notre corps est ainsi fait de cellules qui ne nous appartiennent pas*. Evidemment, les bactéries sont souvent plus petites que les cellules de notre propre organisme (ça vous rassure ?). Comptez bien, vous êtes en nette infériorité numérique faces à elles. Chaque espèce de bactérie apporte son lot de gènes et si on calcule bien, seulement 1 gène sur 100 présents dans notre organisme provient de notre propre ADN (et notons que proportionnellement les bactéries peuvent exprimer plus de gènes que nous). Un vrai melting pot … Cela dit, on considère que le microbiote d’un individu est unique, comme ses empreintes digitales, même si des espèces de bactéries sont présentes chez la plupart des gens.

Oui parce-que je dis « bactéries » mais en fait je parle de « microbiote » et je devrais dire « microorganismes », vu qu’il ne s’agit pas seulement de bactéries mais aussi d’arches (qui sont de petits êtres vivants constitués d’une seule cellule), de levures (comme celles de la bière ou celles que vous utilisez pour faire monter votre gâteau au chocolat) et … de virus ! Toutes ces petites bêtes sont regroupées sous le terme de « microbiote » et sont essentielles au fonctionnement de notre corps. Ainsi, comme les petits oiseaux qui se perchent sur le dos des crocodiles ou les petits poissons qui nettoient la bouche des requins, nous avons développé avec ces microorganismes une relation donnant-donnant : on les héberge, on les nourrit, et ils participent à certaines fonctions de notre corps. On dit microbiote au singulier mais on devrait parler au pluriel car il y en a en fait plusieurs différents, logés dans plusieurs parties du corps. C’est le microbiote intestinal qui contient le plus de ces petites bêtes (100 000 milliards pour près d’1,5 kg chez un adulte, soit la grande majorité du microbiote !) et qui est un deuxième cerveau, mais d’autres parties du corps ont leur propre microbiote comme la peau, le vagin ou même le nombril. Le microbiote se régule normalement lui-même mais il est important de ne pas le perturber pour qu’il reste équilibré car un changement peut entraîner le développement de maladies (certaines pathologies sont de plus en plus mises sur le compte d’un déséquilibre du microbiote). Ainsi, il est fortement déconseillé de récurer son vagin, son nombril ou même sa peau au gant de crin et savon désinfectant (à moins de s’être roulé dans la fange avec les cochons, encore que, ou d’être tombé dans le vieux port). Je ne vous dis pas de ne pas vous laver du tout, évidemment, mais évitez de prendre Trump au pied de la lettre et de prendre des douches de désinfectant.

(source : giphy)

Ce microbiote forme un véritable écosystème. Il est dépendant du territoire dans lequel il évolue et sensible aux interventions extérieures qui peuvent entraîner des changements dans ce territoire, comme c’est le cas des animaux ou des plantes dans la nature. Comme dans la nature, la composition de cet écosystème peut changer, par exemple celui du vagin au fil du cycle, un peu sur le principe de celui d’une forêt au fil les saisons. Et récurer son corps avec du savon trop agressif revient à larguer des pesticides sur une plaine : ça va être bien désinfecté mais on va anéantir la faune et la flore. D’ailleurs, on parle souvent de « flore intestinale » pour désigner le microbiote de l’intestin, une folie formule fausse (puisque les bactéries ne sont pas des plantes) qui fait penser à des vieux ingérant des compléments alimentaires mais qui fait bien comprendre la notion d’écosystème. Après avoir compris qu’on était loin d’être le centre de l’univers, on a soumis l’idée qu’en tant qu’espèce on fait partie d’un écosystème (même si c’est pas encore rentré dans la tête de tout le monde – coucou les compagnies pétrolières – ). Récemment, on a découvert qu’on est encore moins importants que ça puisque même notre propre corps ne nous appartient qu’en partie. Ne serions-nous qu’une conscience dans un corps qui ne nous appartient pas ?

Maldoror : génie médical incompris ?

C’est une idée qu’on retrouve dans une oeuvre très particulière de la Littérature française : Les Chants de Maldoror. Ce roman de l’éphémère Comte de Lautréamont (de son vrai nom Isidore Ducasse – on se demande bien pourquoi il a pris un pseudo avec un nom pareil), archétype du romantique dégénéré et du poète maudit, mort inconnu à 24 ans, a été publié en 1869 mais jamais diffusé du vivant de son auteur, mort l’année d’après. De cet ouvrage poétique en prose assez imbuvable et d’une étrange étrangeté, seul le 4ème des 6 chants nous intéresse. En effet, au chant IV, on rencontre un personnage étonnant qui nous livre de lui-même une description assez peu ragoûtante dont je vous donne un extrait (IV, 4) : « Sur ma nuque, comme sur un fumier, pousse un énorme champignon, aux pédoncules ombellifères (…) Mes pieds ont pris racine dans le sol et composent, jusqu’à mon ventre, une sorte de végétation vivace, remplie d’ignobles parasites, qui ne dérive pas encore de la plante, et qui n’est plus de la chair. Cependant mon cœur bat (…) Sous mon aisselle gauche, une famille de crapauds a pris résidence, et, quand l’un d’eux remue, il me fait des chatouilles. Prenez garde qu’il ne s’en échappe un, et ne vienne gratter, avec sa bouche, le dedans de votre oreille : il serait ensuite capable d’entrer dans votre cerveau. Sous mon aisselle droite, il y a un caméléon qui leur fait une chasse perpétuelle, afin de ne pas mourir de faim : il faut que chacun vive (…) Une vipère méchante a dévoré ma verge et a pris sa place : elle m’a rendu eunuque, cette infâme. Oh ! si j’avais pu me défendre avec mes bras paralysés ; mais, je crois plutôt qu’ils se sont changés en bûches. Quoi qu’il en soit, il importe de constater que le sang ne vient plus y promener sa rougeur. Deux petits hérissons, qui ne croissent plus, ont jeté à un chien, qui n’a pas refusé, l’intérieur de mes testicules : l’épiderme, soigneusement lavé, ils ont logé dedans. L’anus a été intercepté par un crabe ; encouragé par mon inertie, il garde l’entrée avec ses pinces, et me fait beaucoup de mal ! Deux méduses ont franchi les mers, immédiatement alléchées par un espoir qui ne fut pas trompé. Elles ont regardé avec attention les deux parties charnues qui forment le derrière humain, et, se cramponnant à leur galbe convexe, elles les ont tellement écrasées par une pression constante, que les deux morceaux de chair ont disparu, tandis qu’il est resté deux monstres, sortis du royaume de la viscosité, égaux par la couleur, la forme et la férocité. »

Dans ce texte, le personnage qui se décrit lui-même au lecteur est en train de se changer en écosystème. Le personnage est dépossédé de son corps et n’est plus qu’une conscience, un corps pensant mais pas agissant. Il est vivant parce-qu’il pense (« Cogito ergo sum », dirait l’autre) mais n’a aucune prise sur son propre corps. Ses membres, ses organes, ses poumons, son coeur et même son cerveau sont menacés par l’invasion animale et, immobilisé par un glaive qu’un homme a planté dans sa colonne vertébrale (hors texte cité) il est condamné à regarder évoluer cet écosystème. Il n’a plus que sa conscience pour pleurer. Ici, la figure du corps humain comme écosystème est poussée à son paroxysme, exagérée, et exteriorisée (les organismes étrangers viennent de l’extérieur prendre possession du corps et s’y glisser, et on peut l’observer), ce qui fait selon moi de ce texte un bon exemple pour comprendre le fonctionnement du corps humain décrit plus haut. Evidemment cette scène est absolument fantasque et tout à fait incohérente d’un point de vue biologique mais comme dans chaque écosytème chaque espèce, animale ou végétale, trouve sa place et interagit (ou du moins cohabite) avec les autres. Le corps humain est assailli par la faune et la flore et devient impuissant (les bras sont paralysés, les jambes plantées dans le sol et le dos immobilisé), une allégorie assez intéressante au regard de l’actualité qui nous rappelle peut-être que l’être humain n’est pas si puissant par rapport à la nature.

(source : giphy)

Si ce premier épisode de mon feuilleton vous a plu et que vous avez des idées pour un prochain épisode, n’hésitez pas à m’en faire part !

*Attention : ces chiffres qui prévalent depuis longtemps dans la communauté scientifique ont été nuancés par une étude menées par des chercheurs israéliens. Selon cette étude, il y aurait dans le corps humain d’un homme de corpulence moyenne âgé de 20 à 30 ans à peu près autant de bactéries que de cellules humaines. Pour en savoir plus : https://www.sciencesetavenir.fr/sante/flore-bacterienne-humaine-le-chiffrage-du-microbiote-etait-faux_29779

A savoir :

On peut trouver Les Chants de Maldoror dans toute bonne librairie et en version numérique sur Wikipédia

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