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La solitude du chat d’appartement

Etre confinée dans un appartement avec vue sur le toit avec un chat (noir) m'a donné matière à réflexion ... Voici le nouvel opus de mon feuilleton sur l'absurde !

Il est connu que la possession d’un chat est l’apanage des gens seuls. Mais entre seul et solitaire, il y a une nuance … Alors de quoi le chat est-il le symptôme ?

Chat et solitude : de qui le chat est-il le compagnon ?

Il est connu que lorsqu’on se sent seul on prend un chat. Dans les comédies romantiques, les femmes qui sont toujours célibataires après 25 ans (malheureuses catherinettes) ont un ou plusieurs chats, qu’elles appellent devant leur gamelle en rentrant exténuée du boulot et câlinent sur le canapé devant un film en mangeant un plat chinois. Holly Golightly (Breakfast at Tiffany’s, Truman Capote, 1958), par exemple, est l’heureuse non-propriétaire d’un gros chat roux qui va et vient dans son appartement et dans sa vie. Le chat apparaît comme le symbole de ses errements. Comme le chat, elle voudrait être libre et ne s’installe que temporairement dans son appartement en attendant de trouver son véritable foyer.

Bon, dans le roman elle l’abandonne quand elle déménage … mais dans le film elle court à sa recherche sous la pluie, au risque de choper une pneumonie – et son voisin écrivain. Ecrivain qui ne manque pas de faire la part belle à ce fameux chat dans le récit qu’il fait des aventures de sa petite voisine.

Source : Giphy

« Si vous voulez être écrivain, ayez des chats » disait Aldous Huxley.

Car les chats ne sont pas seulement plébiscités par les célibataires mais aussi par les écrivains. En témoignent Baudelaire et son fameux poème, Simenon et sa nouvelle, Lewis Carroll et son malicieux chat du Cheshire, Colette qui a consacré à l’animal plusieurs écrits, Hugo qui adorait son chat, Sand qui mangeait avec le sien, Hemingway dont la maison de Key West débordait de félins, Cocteau qui préférait l’anarchisme des chats à l’obéissance des chiens (« Si je préfère les chats aux chiens, c’est parce-qu’il n’y a pas de chats policiers. ») Allan Poe et son chat oiseau de mauvais augure … Pourquoi cette passion des écrivains pour le chat ?

Eh bien tout d’abord parce-qu’au XIXe siècle, siècle du roman par excellence, l’époque où le chat avait mauvaise presse est révolu. Il est devenu un animal domestique que les classes aisées peuvent se permettre de nourrir et de cajoler.

Plus que cela, le chat se contemple. Le chat est une fascinante créature, une panthère en miniature. Il éveille chez l’être humain une curiosité d’explorateur, de biologiste, de savanneur … Pour Théophile Gautier les chats sont « des tigres bourgeois amis de l’homme » et Victor Hugo écrit que « Dieu a inventé le chat pour que l’homme ait un tigre à caresser chez lui. » En somme, le chat nourrit notre ego. Céline disait que l’amour est l’infini à la portée des caniches, moi je dis que le chat est le tigre à la portée des peureux. Mais il est vrai que l’intelligence teintée de cruauté qui brille dans ses petits yeux jaunes a de quoi fasciner.

Enfin, le chat offre beaucoup (parfois trop) de distraction pour peu d’entretien. Et ça, ce n’est pas négligeable lorsqu’on a un roman à écrire. Et puis, le mauvais genre qui colle à la peau de cette petite créature du diable parle à tous les poètes maudits avide d’absinthe et de mysticisme.

Patricia Highsmith et son chat

Mais n’oublions pas que le chat (surtout le noir) est aussi l’attribut de la sorcière – ancêtre médiévale de la célibataire. De même que ses compères nocturnes les chouettes et les hiboux le chat a eu mauvaise presse pendant longtemps. Au Moyen-Age, les chats noirs sont vus comme des animaux du Malin et on les associe aux sorcières, surtout à partir du XIIIe siècle, à l’époque où la chasse aux hérétiques bat son plein. Le pape Innocent VII exhorte la population à se débarrasser des chats et le pape Innocent VIII ordonne que les sorcières soient brûlées ou noyées avec leurs chats. Le chat est même, dans un premier temps, accusé d’être à l’origine de la propagation de la peste et l’abattage des chats n’a certainement pas contribué au ralentissement de l’épidémie. A la Renaissance, la symbolique associée aux animaux est réévaluée et le chat fait son entrée dans le foyer, d’abord comme animal utile. Il traîne dans la cuisine, se nourrissant des restes qu’on lui donne, et chasse les rongeurs néfastes. Avec les Lumières, on ne fait plus la chasse aux chats mais aux superstitions et le chat est de plus en plus apprécié. C’est au XIXe siècle que le chat vit ses lettres de noblesse car il est largement apprécié des intellectuels pour son élégance et sa liberté (Théophile Gautier l’oppose aux chiens en soulignant qu’un chat ne sera jamais un esclave) et en 1871 on lui consacre même une exposition.

Kim Novak
Source : http://albumsceline.blogspot.com/2012/07/black-cat-opus-3.html

Aujourd’hui, avec la popularisation de concepts comme le « hygge » (mot danois qui désigne le fait de rester chez soi en chaussons) ou le développement du féminisme, et le retour du tricot ou de la soupe version bobo, le chat est devenu l’emblème des femmes et des hommes qui vivent seul.e.s et qui aiment ça : passer la soirée en tête-à-tête avec son chat devant un vieux film et manger des nouilles n’est plus le signe d’un célibat prolongé ou d’une dépression mais d’une personnalité mâture qui s’auto-suffit et qui s’assume totalement. Plutôt cool, donc …

Le chat et l’absurdité de l’existence

L’autre jour, en nourrissant notre chat qui venait de faire pipi sur le lit pour la deuxième fois de la semaine, je me suis dit que l’être humain doit vraiment être prêt à tout pour éviter de s’ennuyer et de ressentir l’absurdité de l’existence pour s’encombrer d’un boulet pareil. Non seulement le chat est une créature diabolique prête à toutes les extrémités mais il est également extrêmement dédaigneux (j’ai vérifié : le chat reconnaît son nom mais il choisit bien de faire comme s’il n’avait pas entendu), rancunier (la chatte que j’ai sauvée d’une mort certaine lorsque j’étais en terminale et choyée au possible me voue un souverain mépris depuis que j’ai quitté la demeure familiale pour faire mes études) et délicat (changez un meuble de place et votre chat fait une dépression), mais il finit par coûter cher (outre la nourriture, la litière, les jouets et le vétérinaire, il faut compter tous les dommages collatéraux – les machines de draps, les matelas, les lampes et bibelots qu’il a brisés en sautant sur des étagères, les fauteuils et le tapis sur lesquels il s’est fait les griffes … et j’en passe).

Avouons-le, les chats invitent à la mélancolie. La vie d’un chat d’appartement est une allégorie cruelle de l’existence : enfermé entre quatre murs, avec pour seul lien avec l’extérieur une fenêtre s’ouvrant sur des nuées de pigeons – suprême délice, saint graal de la chasse, trophée ultime (car il faut se dire qu’en terme de taille pour un chat un pigeon est comme pour nous un aigle royal) – , s’amusant d’un rien – un carton est pour lui mieux que Disneyland – , toujours aux aguets – alors que pour nous une poussière vole négligemment dans un rai de lumière, pour le chat son territoire est attaqué par une forme de vie inconnue – … le chat nous renvoie à des questionnements troublants. Le chat d’appartement vit dans une cage dorée que l’on ne peut s’empêcher de rapporter à celle, virtuelle, de notre propre conscience.

Car l’enfer ce n’est pas les autres (sauf à Marseille) mais bien soi-même. Et si le chat d’intérieur nous fait tant de peine c’est que voir une créature dotée d’intelligence enfermée nous rappelle que nous aussi, nous sommes des créatures dotées d’intelligence enfermées dans une sorte de cage. On a de la peine pour le chat parce-qu’on ne peut s’empêcher de se mettre à sa place : comme nous, le chat d’appartement ne rêve-t-il pas de liberté, de grands espaces, de champs de coquelicots dans lesquels courir nu ? Ne rêve-t-il pas de ce qui se trame derrière les murs de l’appartement comme nous rêvons de pays lointains aux parfums enivrants ?

L’enfermement physique du chat, réfréné dans ses instincts par les murs de l’appartement, rappelle cruellement au sartrien le poids de l’existence. Car pour Sartre l’être humain est libre par essence mais également affreusement contraint. En effet, chez l’humain l’existence précède l’essence, et, n’étant prédestiné à rien sinon par des caractères sociologiques, l’être humain se trouve dans l’obligation constante de faire choix sur choix, des choix dont il est seul responsable (puisqu’il n’y a rien au-dessus de nos têtes que les étoiles), d’où une angoisse abyssale (l’être humain est ainsi « condamné à être libre »). Qui n’a jamais rêvé d’être un chat pendant une journée, juste pour échapper un peu aux contraintes de la vie d’adulte et à l’angoisse de la pensée ? Etre uniquement guidé par ses instincts c’est n’avoir plus à faire de choix et donc être complètement serein. Tentant …

Car si l’on s’en tient aux philosophes de l’Absurde, l’angoisse est indissociable de l’existence humaine.

Et, pour une âme qui a tendance à la mélancolie, regarder un chat chasser une poussière n’est pas divertissant mais angoissant : quel meilleur exemple de l’inutilité de geste, du caractère machinal de l’existence décrits par Camus ?

Sartre et son chat

Mais que les coeurs sensibles se consolent : si la philosophie de Sartre est un brin pessimiste, puisque l’être humain se trouve complètement seul et responsable de ses choix (poids de sa liberté de choix), celle de Camus est un peu plus réconfortante puisque pour lui la prise de conscience de l’absurdité de la vie, inévitable, nécessaire, doit être suivie de la révolte. Ainsi Camus invite à ne pas se laisser abattre par l’absurdité de l’existence et à agir. Et c’est exactement ce que le chat fait jour après jour en trouvant dans le plus petit élément de son quotidien une motivation à mettre ses muscles et son cerveau en mouvement.

Unsolicited Opinion

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