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La moiteur

Je vais vous parler d'un temps que les moins de 16 ans ne peuvent pas connaître (espérons pour eux qu'ils le connaîtront bientôt) ...

Je me sens vieille. Je me sens vieille parce-que des images de nuits moites passées en boîte de nuit tournent dans ma mémoire comme les scènes au ralenti d’un vieux film. Je les accueille avec la nostalgie de celle qui ne peut plus les vivre et qui le regrette.

Source : https://ephemeralnewyork.wordpress.com/tag/old-bars-new-york-city/

Je ne pense pas qu’on puisse dire de moi que je suis « une fêtarde ». Je ne suis pas non plus une « couch potato » (ou « patate de canapé » en français – l’image est parlante -). J’aime vivre entre les deux. Un (petit) peu plus jeune, je sortais évidemment tous les vendredi et samedi soirs, et parfois les soirs de semaine aussi (premières années de vie étudiante obligent). Alors évidemment, il y a sortir et sortir. Il y a sortir boire un verre (ou plusieurs) et grignoter des tapas entre amis sous les chauffages d’un bar à vin ou sortir pour se mêler à une soirée d’anniversaire, et il y a sortir pour danser dans une boîte. Aujourd’hui j’écris pour rendre hommage aux deux.

J’ai des souvenirs chauds des soirées pré-covid …

Des parasols rouges, des chauffages sous lesquels on s’agglutine, une place pavée bondée, des pintes de bière blonde, des amis, des rires, un bar à vin, des tapas, tremper ses lèvres dans le verre de quelqu’un d’autre, tirer sur une clope qui n’est pas la nôtre, parler trop près, s’endormir sur une épaule …

Et puis des nuits …

La moiteur … La proximité des corps sur la piste, la foule compacte, verres à la main, sur le trottoir, les inconnus, les rires, le comptoir du bar qui colle sous les avant-bras, la lueur tamisée ou les néons, la boule à facette, la barre de pole dance contre laquelle tout le monde danse et bute, l’alcool plus fort, les verres d’eau comme l’oasis dans le désert, les commandes criées, une bande d’amis fédérée, les mecs lourds, les cheveux en l’air, la moiteur, les amitiés éphémères crées dans les toilettes des filles (ces mêmes filles à qui on filera des coups de coudes sur la piste de danse lorsqu’elles empièteront sur notre espace vital en faisant mine de ne rien voir en levant les bras au ciel pour « leur chansoooooon !!! »), les rencontres, les amours oubliées avant même d’être consommées. L’oubli, le délicieux oubli, de ton corps que tu laisses prendre le pas sur ton esprit, soit de plein gré soit parce-que celui-ci est trop enivré pour penser de manière cohérente, le sentiment confus que tu frôles la connerie et que tu le regretteras (« je boirai plus jamais » te dis-tu une fois par semestre) mais que tu mets de côté, la fatigue que tu endigues à coups de shots de vodka black. La malbouffe (pizza, kebab, frites …) de 2h du matin ou le chant des oiseaux dans le ciel qui s’éclaircit à 6h. La gueule de bois. Les photos ratées qu’on garde quand-même.

Moi ça me manque. Sentir mon coeur battre au rythme d’un bar, d’une place, d’une ville entière un samedi soir me manque. Laisser mon esprit survoler la piste de danse pendant que mes pieds remplacent mon cerveau me manque. Etre ivre d’alcool et de vie me manque. Etre jeune me manque.

« Nighthawks », Edward Hopper, 1942

Au bénéfice de la santé, pour se protéger soi-même mais surtout pour protéger les autres (les plus fragiles, ceux qui ne peuvent plus danser), on a accepté (surtout parce-qu’on a pas les moyens de payer les amendes), de mettre en suspens notre vie sociale et de faire nos adieux aux boîtes de nuit comme on fait ses adieux aux ami.e.s rencontré.e.s en colonie de vacance. « A la revoyure » oui, mais quand ?

Dans les séries des années 2030, 5 amis se retrouveront-t-ils dans un bar en bas de l’appartement payé par deux d’entre eux mais que tout le monde squatte ou les apéros en présentiel ne seront-ils plus qu’un vague souvenir que l’on épinglera sur un tableau pinterest après avoir regardé un « vieux » film des années 2000 ?

Unsolicited Opinion

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