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Le féminisme est un humanisme – Ode à l’hystérie

Je ne déteste pas les hommes. J'ai un très bon ami qui est un homme ... C'est pourquoi je viens aujourd'hui, à vous les hommes (les femmes, vous pouvez rester quand-même), vous parler d'un mal répandu et encore mal soigné : le sexisme.

Le féminisme n’est pas ancré en nous. On n’est pas essentiellement féministe. Pour plagier Simone de Beauvoir : on ne naît pas féministe, on le devient. C’est un long processus d’apprentissage et de déconstruction de tout un background culturel qu’on a toutes et tous intégré. C’est souvent une lutte, avec les autres mais aussi contre soi-même (voir mon article du 19/11 « Seins, chaleur et féminisme »). Ainsi, il y a quelques temps, mue par le besoin de confirmer mes positions féministes, j’ai acheté et entamé la lecture du Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. J’ai même entrepris de le ficher, afin de bien m’imprégner de ses idées et de me former un bon stock d’arguments à ressortir en soirée (car je suis une fille festive). Bien entendu, je connaissais les thèses développées par Beauvoir.

Depuis mon adolescence je prends progressivement conscience du sexisme inhérent à notre société. Parfois, quand je regarde les publicités à la télévision (ce qui est assez rare, généralement elles me sont balancées au milieu d’une vidéo youtube), je m’énerve contre l’engin (qui bien évidemment ne peut me répondre, ce qui en fait une proie facile mais un bien piètre opposant d’un point de vue rhétorique), notamment au moment de Noël lorsque les fabricants de jouets nous assaillent de poupons parlants et de bolides rugissants. Le format court et caricatural de la publicité, qui joue sur les codes que nous avons intégrés depuis l’enfance, en fait un vecteur idéal du sexisme (les petites filles aiment le rose et veulent être vétérinaires, les petits garçons aiment le bleu et veulent être pilotes de formule 1 …). Et les pubs destinées aux adultes ne sont pas mieux. Dans le choix d’un parfum par exemple, les jeunes femmes peuvent être la femme fatale ou l’ingénue; les jeunes hommes peuvent être sportifs ou … non juste sportifs en fait. D’ailleurs, ils sont tellement occupés à faire du sport qu’ils n’ont pas le temps de faire le ménage !

Il est ardu de prendre conscience du sexisme de notre société, tant celui-ci est distillé et enraciné profondément depuis les débuts de l’Humanité. Même pour les femmes, la réalisation que notre société est sexiste (je dis bien « sexiste » et non « misogyne ») et que nous avons intégré, malgré nous ou peut-être par souci de conformisme, beaucoup de réflexes néfastes, est douloureuse, terrifiante même. Tout à coup, c’est la pilule rouge. Et avec, parfois, la culpabilité de ne pas être, peut-être, assez féministe …

Ode à l’hystérie

Comme dans la communauté LGBT (les actions féministes sont d’ailleurs souvent soutien des actions LGBT), les féministes ont tendance à s’approprier des termes peu élogieux. Ainsi, le terme « salope ». En fait, c’est un peu comme les blagues sur les juifs ou les corses : c’est délicat de les sortir en soirée quand on est ni l’un ni l’autre … Un autre terme est intéressant de ce point de vue : hystérie.

L’hystérie, terme inventé par Hippocrate, médecin grec de l’Antiquité, désigne la « maladie » qui touche les femmes lorsque celles-ci sont privées des joies de la procréation. Guidées par les cris de leur utérus, elles deviennent alors incontrôlables, et il faut, sinon les exorciser, les « soigner » à grands renforts de calmants et de séances de psychanalyse …

C’est en train de changer mais le terme « féministe » a longtemps été une insulte. Faire des femmes qui s’expriment des hystériques est un moyen ancien d’étouffer leur parole. L’hystérique, la sorcière, la frigide … il est aisé de se moquer des femmes qui refusent d’accepter placidement le sexisme et le patriarcat ambiants. En la matière, à la suite de l’affaire Weinstein et du mouvement MeToo, les hommes se sont montrés assez silencieux (hormis pour se mettre en colère), tendance qui est un peu en train de changer, heureusement, puisque des hommes commencent à prendre la parole sur le sujet et à remettre en question ce qu’ils pensaient être normal*. La parole des femmes mais aussi celle des hommes est importante. Il est important que les hommes soutiennent les femmes dans la lutte contre des systèmes de pensée qui sont néfastes pour tout le monde. Il n’est pas nécessaire de défiler seins nus dans les rues (un droit qui devrait nous être reconnu, notamment en période de grande chaleur) pour être féministe. S’indigner, avoir un regard critique sur le monde, c’est déjà un début. S’insurger, c’est l’étape d’après. Et si l’on nous taxe d’extrémisme, alors tant pis ! Ou plutôt : tant mieux ! Soyons radicaux.ales, au moins dans nos idées !

Le féminisme pour les nuls

Un chapitre du Sexe pour les nuls a un peu tourné sur Internet il y a quelques temps. Dans ce passage intitulé « N’adressez pas de messages ambigüs », l’auteur décrit la situation suivante : un couple a décidé de passer un weekend en amoureux dans un hôtel de campagne, sans leurs enfants, qu’ils ont laissé chez les grands-parents. La femme s’est mise sur son trente-et-un : elle est bien coiffée, bien maquillée, elle sent bon … elle porte cette robe que son compagnon apprécie tant. Nulle mention de la tenue du-dit compagnon mais nous pouvons imaginer qu’il a sorti du placard sa plus belle chemise à fleurs. Durant le dîner, le-dit compagnon salive, et ce n’est pas à cause du poulet sauce champignons. Problème : une fois de retour dans la chambre, la femme est fatiguée. Elle décide d’aller dormir, laissant l’homme sur sa faim. Et voilà. En somme, elle n’est qu’une vulgaire allumeuse : elle a accepté de passer le weekend à la campagne, elle a mis une jolie robe … remettre la partie de jambes en l’air au lendemain est un outrage. Dans ce texte, l’auteur encourage donc les femmes à prendre leurs responsabilités : vous refusez de faire l’amour ? Très bien mais attendez-vous à des représailles. Et s’il y a une possibilité que vous préfériez ne pas faire l’amour ce soir, assurez vos arrières en portant plutôt un jogging et des Crocs. Le texte se conclue magistralement : « Si vous l’allumez, ne vous étonnez pas qu’il n’ait pas envie que vous vous refusiez à lui. » C’est la dernière phrase du texte, surtout qui a lancé le débat, parce-qu’elle appelle une notion encore peu connue et mobilisée qui est celle de « culture du viol ».

Une histoire de culture

En 2018, Le Monde publiait, en plein coeur de la tornade Weinstein et MeToo, la Tribune des 100 femmes, article débordant de sexisme et de conservatisme signé entre autres par Catherine Deneuve. Dans ce petit pamphlet, il s’agissait pour les autrices de défendre « la liberté d’importuner », comprenez la liberté pour les hommes d’importuner les femmes (en leur mettant une main aux fesses dans le métro par exemple ou les harcelant dans un ascenseur pourquoi pas). La tribune était portée par Catherine Millet, qui a tout de même affirmé qu’elle regrettait de ne pas avoir été violée car elle aurait ainsi pu témoigner que « du viol on s’en sort » (sans commentaire). Saisissant cette occasion de surfer sur l’actualité brûlante du moment, l’équipe de Quotidien l’invite ainsi que Catherine Deneuve (à laquelle Yann Barthès voue apparemment une profonde admiration) pour une interview d’une grande complaisance qui sera suive le lendemain par l’interrogatoire, sans complaisance cette fois et assez agressif, de Caroline de Haas, venue pour alerter sur les dangers véhiculés par la fameuse tribune. Car dangereuse, elle l’est bien, cette tribune. La liberté d’importuner, c’est la liberté pour les hommes de plomber le quotidien des femmes en toute impunité. C’est aussi l’occasion (encore une) de rappeler que l’homme est un animal sujet de ses pulsions (ce qui le défait donc de toute responsabilité) et de culpabiliser les femmes (elles n’ont qu’à apprendre à se défendre et puis si elles se font violer, elles s’en remettront). A la suite de cette émission, Caroline de Haas a été violemment accusée sur les réseaux sociaux de détester les hommes (tout le monde sait que c’est la motivation principale des féministes, qui en somme sont simplement amères qu’aucun homme n’ait demandé leur main) et d’être une extrémiste. Etonnamment, ces commentaires venaient d’hommes mais aussi de jeunes femmes. Cela prouve bien que nous avons parfaitement intégré les concepts sexistes distillés dans notre société depuis des millénaires, et ça, c’est la base de la culture du viol.

L’expression est violente par l’utilisation du mot « viol », choquante par son association avec « culture ». Pour définir le sujet brièvement, il s’agit est un concept sociologique venu des Etats-Unis qui établit un lien entre le viol et l’environnement culturel dans lequel on baigne. Ainsi, le viol n’est pas encouragé directement mais indirectement, au travers de la publicité, des blagues, des livres, des films … en somme au travers de toutes les formes de représentation qui circulent. C’est insidieux et difficile à percevoir pour un oeil naïf. De manière générale, la culture du viol cimente un rapport de domination de l’homme sur la femme.

Rick et Morty, saison 1, épisode 7

Le texte du Sexe pour les nuls précédemment cité est un exemple fantastique pour comprendre le problème. Il permet de voir ce qui participe à cette culture sexiste dans laquelle nous nageons toutes et tous. En effet, le désir de l’homme est clairement placé au-dessus de celui de la femme; la frustration du mâle y est présentée comme logique et sa réaction (quelle sera-t-elle d’ailleurs ? Bouderie ? Ou violence ?) en est légitimée. Enfin, il place la culpabilité sur les épaules de la femme. Encore … Cela fait des siècles que les femmes sont frustrées. Sexuellement*, mais pas seulement (l’essor du féminisme a coïncidé avec la libération sexuelle et ce n’est pas pour rien).

Le péril féministe

« Personne n’est plus arrogant envers les femmes, plus agressif ou méprisant, qu’un homme inquiet pour sa virilité. »

Simone de Beauvoir

Cela fait quelques temps, notamment depuis l’apparition du mouvement MeToo et du hashtag BalanceTonPorc, que les hommes sont anxieux, parce-qu’après des siècles de domination masculine ils ressentent ce que ressentent les femmes au quotidien : désormais, ils doivent surveiller ce qu’ils disent, de peur que leurs paroles soient interprétées comme agressives, sexistes, déplacées, ou comme une invitation à un rapport sexuel non désiré … Hors, surveiller ses paroles a toujours été l’apanage de la femme. Ce n’est pas anodin, de devoir surveiller son langage, notamment dans l’espace public. Aujourd’hui, la principale revendication des féministes est la même légitimité à déambuler dans l’espace public que les hommes, et de manière générale, à exister. Hors, cette légitimité n’a jamais été possible et la libération de la parole des femmes, accompagnée du muselage de celle des hommes, est un signe criant que la situation est en train de changer. Il fallait brûler plus de sorcières : celles qui ont survécu ont passé le flambeau. Reste à inscrire cela dans le droit …

Les hommes ont peur mais ils sont également énervés, parce-que désormais les femmes leur disent clairement que leur jouissance n’est pas centrale. Et ça, on peut le comprendre aisément, c’est très, très dur à avaler, car cela va à rebours de plusieurs siècles d’histoire. Des siècles d’éducation genrée à vouloir que les femmes soient des êtres fragiles que les hommes doivent protéger et dominer sans jamais faillir (quelle pression !), cela laisse des traces … Et c’est qui l’hystérique maintenant ?

Etre féministe, c’est être souvent énervée, parce que beaucoup de choses dans notre société sont sexistes. Et quand on commence, on ne peut plus s’arrêter de voir du sexisme partout. Le problème est que nous n’avons pas la possibilité de nous calmer, parce-que chaque droit obtenu est inévitablement mis en péril à la moindre occasion (le droit à l’avortement, par exemple). Se calmer, c’est faire deux pas en arrière pour un pas en avant. Et ça, ce n’est pas envisageable.

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

Simone de Beauvoir

« Le féminisme est un humanisme » pourrait-on dire en plagiant Sartre. J’ai bien conscience que le terme « féminisme » peut faire peur aux hommes. Il a émergé dans une forme de violence, dans la contestation… Mais la violence est le contraire du féminisme, qui veut justement faire cesser le rapport de domination des hommes sur les femmes. Il ne s’agit en aucune manière d’inverser ce rapport de force* et de faire des femmes les bourreaux des hommes. Le droit à un congé paternité, par exemple, est une revendication issue du féminisme. Car le féminisme c’est une volonté de rééquilibrage (ou d’équilibrage ?). Cependant, pour y arriver, nous avons encore besoin du terme « féminisme », même s’il fait un peu peur. Et puis après tout, tant mieux s’il fait peur. Cela prouve qu’il appelle des changements profonds.

*L’Existentialisme est un humanisme, Jean-Paul Sarte, 1946

*Voir « How to close the female orgasm gap », Shannon Bledsoe, The Guardian, Fri 9 Feb 2018 16.04 GM

*Voir les films Jacky au royaume des filles (Riad Sattouf, 2014) et Je ne suis pas un homme facile (Eléonore Pourriat, 2018)

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✔️Ces derniers jours de très nombreuses femmes m’ont envoyé des extraits de livres qui circulent sur les réseaux sociaux. Des extraits qui encouragent la culture du viol, dans des livres… qui étaient trouvables à la FNAC et sur Amazon. (« La paix commence en nous » n’est plus dispo nul part, sans doute retiré par l’éditeur face au bad buzz 💪, mais « le sexe pour les nuls » est toujours en vente ) ✔️C’est génial que tant de femmes osent le pointer! Continuons ensemble à faire pression et à dénoncer! ✔️ On avance, on avance…mais il faut réaliser qu’il n y a pas si longtemps, ce type de propos ne choquaient pas grand monde. ✔️« La paix commence en nous » de Placide Gaboury ( ce connard est décédé en 2012, bon vent!) a été publié en 2002 par les éditions @quebecormedia et apparemment à l’époque l’éditeur a trouvé que le passage sur le viol était acceptable dans un livre de développement perso. ✔️Je n’ai pas lu le livre, mais ce passage est inacceptable, car même si on peut supposer que livre était un bouquin de développement perso pour aider les hommes qui avaient commis des choses inacceptables (et on a besoin, plus que jamais, de livres pour aider et parler à ce type d’hommes afin qu’ils évoluent), le discours tenu ne les aidaient absolument pas à se remettre en question et à guérir de leur violence. ✔️« Le sexe pour les nuls » a été publié pour la première fois en 1995 aux éditions First (écrit par 2 femmes ce qui montre la puissance de la misogynie intégrée et du conditionnement) et cet extrait qui culpabilise les femmes « de changer d’avis » et qui n’inclut pas de notion de consentement, était présent dans la deuxième édition de 2001. Je ne sais pas si ce passage fait encore partie de la dernière édition en vente ou pas. ✔️ Dénonçons! Créons une archive de toutes les absurdités d’une époque que nous voulons révolu ! On VA changer le monde 🌎 !

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