Le Commentaire

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Mondiaux d’athlétisme à Doha : le sport bafoué, des athlètes méprisés

Les dix-septièmes Championnats du monde d’athlétisme se sont clôturés dimanche dernier à Doha au Qatar, qui accueillait l’événement pour la première fois. Constater qu’ils n’ont pas été un franc succès est un doux euphémisme. Entre une chaleur insoutenable, une très faible affluence et de nombreux scandales en tout genre, ces Mondiaux ont fait parler d’eux, rarement en bien.

Samedi 28 septembre, deuxième journée des Mondiaux, finale féminine de marathon. L’épreuve a été décalée à 23h30 (heure locale) pour éviter la chaleur mais le résultat est consternant : sur les 68 participantes, 28 marathoniennes ont abandonné la course, à cause d’une chaleur éreintante (32 degrés à minuit) et d’un taux d’humidité de 72%. « C’est le marathon le plus dur de ma vie, ils n’auraient jamais dû donner le départ » dénonce la Croate Bojana Bjeljac, qui a abandonné au 17e kilomètre, livre Le Parisien. Pour information, c’est la Kényane Ruth Chepngetich qui a remporté l’épreuve en 2 heures, 32 minutes et 43 secondes.

Les corps des athlètes lâchent une à une, la plupart sortant en fauteuil roulant ou en civière du fait de nombreux malaises et d’une très importante déshydratation. Même si, selon l’AFP, des précautions ont été prises, « Plusieurs dispositifs avaient bien été mis en place en conséquence : des volontaires de la Croix-Rouge postés tous les 200 m de cette boucle de 7 km, une dizaine d’athlètes ayant accepté d’ingérer des gélules qui permettaient aux médecins de surveiller en temps réel leur température corporelle, des points de ravitaillement en eau multipliés. » Un véritable massacre.

L’Italienne Giovanna Epis sur un fauteuil roulant après un malaise qui l’a contrainte d’abandonner la course. REUTERS/Hannah Mckay

« On avait l’impression de respirer de l’eau tellement c’était humide, il y en a qui ont perdu plus de sept litres d’eau. »

L’athlète français Yoann Diniz après son abandon au 50 kilomètres marche masculin.

Le lendemain, pour l’épreuve du 50 kilomètres marche masculin, le bilan est identique : 14 marcheurs dont le Français Yoann Diniz déclarent forfait pendant la course, le risque physique est beaucoup trop important. « Là, j’ai l’impression que le hors-stade (les épreuves se déroulant hors du Khalifa International Stadium), on est pris pour des cons » s’insurge le tricolore à l’avant-veille de la finale. Après son abandon, la colère et l’incompréhension face à un tel marasme sont toujours présents, « On avait l’impression de respirer de l’eau tellement c’était humide, (…) j’ai vite préféré ne pas prolonger le calvaire dans lequel j’allais me mettre. On a vu beaucoup d’abandons avec de grosses pertes hydriques, il y en a qui ont perdu plus de sept litres d’eau. »

Une affluence quasi-nulle pour la première semaine des Mondiaux

Pour les premiers jours des Mondiaux, les travées du Khalifa International Stadium sonnaient bien creux. Dans ce stade climatisé (à ciel ouvert) de 48 000 places, l’affluence du premier weekend oscillait entre 4 000 et 8 000 personnes. Comme le rapportent Le Monde et The Guardian, « A quelques jours de l’ouverture, seuls 50 000 billets avaient été vendus pour les dix jours de compétition, pour un stade comprenant 46 000 sièges, et dont la capacité a été réduite par les organisateurs, qui ont bâché sa partie la plus haute pour diminuer au maximum la mauvaise impression visuelle. » preuve du scepticisme criant des nombreux pays voisins du Golfe Persique notamment.

Malgré des tarifs abordables (30 euros pour assister à la finale du 100 mètres), l’affluence n’est arrivée qu’après que l’émir Qatari, Tamim ben Hamad Al Thani, ait ordonné aux organisateurs, partenaires et institutions d’acheter des milliers de billets pour remplir le stade. Le décathlonien Kevin Mayer se désole de cette situation, « On voit tous que c’est une catastrophe, même si personne ne le dit. Il n’y a personne dans les tribunes. »

Les tribunes vides, paysage familier lors de ces Mondiaux, comme ici lors de la finale du 200m femmes. / Robert Ghement – EPA

Seuls les trois derniers jours de la compétition ont connu une affluence honorable pour des Mondiaux d’athlétisme grâce en grande partie aux travailleurs étrangers qui ont été priés de se présenter dans les tribunes. Le vendredi, près de 30 000 personnes sont venues acclamer le champion qatari et la fierté du pays, Mutaz Barshim. En franchissant une barre à 2,37m dès sa première tentative, (devant les Russes sous bannière neutre Mikhail Akimenko et Ilya Ivanyuk) il devient le premier sauteur en hauteur à conserver son titre mondial.

Climatisation, corruption et « Block Cams »

A l’extérieur, la température moyenne est de 36 degrés, mais au sein de l’enceinte sportive, elle frôle les 25 degrés seulement. Ce choc thermique est du à un système de climatisation XXL mis en place dans le Khalifa International Stadium, « C’est une enceinte à ciel ouvert mais avec l’air conditionné. (…) Concrètement, une centrale produit de l’eau glacée transformée en air froid, ensuite diffusé via 3.000 canons disposés autour de la piste. Cette installation permet de faire baisser la température proche du sol à environ 24-26°C. » peut-on lire sur RMC-BFM TV. Signe d’un véritable désastre écologique, ces unités qui font marcher les 3000 bouches d’aération délivrent une puissance totale de 190MW.

Des soupçons de corruption persistent, notamment sur l’attribution des Mondiaux par la très controversée Fédération internationale d’athlétisme (IAAF). Le parquet national financier a même décidé d’ouvrir une information judiciaire en 2016 pour « corruption » et « blanchiment aggravé ». Il s’agit d’une enquête concernant un versement qatari de 3,5 millions d’euros à une entreprise appartenant au fils de l’ancien président sénégalais de la fédération, Lamine Diack. Le spectre du dopage plane également puisque l’ancien entraîneur célèbre, Alberto Salazar, a été suspendu quatre ans pour « incitation à la pratique dopante » envers certains de ses athlètes.

De plus, une nouvelle innovation dans ces Mondiaux a suscité un tollé considérable. Les « Block Cams », des mini-caméras installées dans les starting-blocks sur certaines courses et permettant de voir les athlètes dans un angle inédit, ont été supprimées après des plaintes de sprinteuses allemandes. Ces-dernières ont pointé du doigt le manque d’intimité et le caractère malsain de ces caméras. « Je trouve très déplaisant de me tenir au-dessus de ces caméras pendant que je m’installe dans les starting-blocks en portant des vêtements très légers », a confié Gina Lückenkemper, l’une des deux coureuses incommodées.

Des performances sportives dignes d’un Mondial malgré tout

Les performances sportives des athlètes apparaîtraient presque pour des faits divers dans ces Mondiaux, ce qui est regrettable car elles ont été d’un niveau remarquable. Les Etats-Unis ont survolé la compétition avec 29 médailles dont 14 en or, en partie grâce au troisième titre mondial de Christian Taylor en triple saut, du deuxième titre pour Sam Kendricks à la perche, mais aussi avec les néo-champions Christian Coleman et Noah Lyles respectivement sur 100m et 200m.

Les Américains ont largement dominé ces Mondiaux avec 29 médailles dont 14 en or. / AFP

Les femmes se sont merveilleusement illustrées avec la Jamaïcaine Shelly-Ann Fraser qui emporte l’or sur 100m et 200m, permettant à son pays d’être sur le podium avec 11 médailles dont 3 en or. Les mères de famille sont à l’honneur, elles qui ont dû mettre leur carrière entre parenthèses pour accoucher malgré le manque de soutien des sponsors et des fédarations. Parmi elles, Mme Fraser évoqué ci-dessus, mais aussi les Américaines Nia Ali sur 100m haies et Allyson Felix (4x400m simple et mixte), la Chinoise Liu Hong aux 20km marches.

Des éclaircies dans des Mondiaux plus que controversés.

Laurent Di Fraja

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