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Petit tour des monstres – Spécial Halloween

Pour se mettre dans l'ambiance d'Halloween, petit tour des monstres que vous croiserez peut-être entre deux verres de punch rempli d'yeux en gélatine le weekend prochain ...

Qu’est-ce qu’un monstre ?

Nom masculin, du Latin monstrum = phénomène singulier, prodige, avertissement, ou alors du Latin monstrare = montrer

  • Être vivant présentant une importante malformation
  • Être fantastique des légendes, de la mythologie
  • Animal effrayant ou gigantesque par sa taille, son aspect
  • Personne d’une laideur effrayante
  • Personne qui suscite l’horreur par sa cruauté, sa perversité, par quelque vice énorme : Un monstre d’ingratitude

Le monstre est donc ce qui sort de l’ordinaire, de la norme, alors qu’il ne devrait pas.

On pense souvent au monstre comme une créature dégoutante ou effrayante. C’est parce-qu’il a des attributs physiques hors normes, comme des dents ou des griffes énormes (d’ailleurs, « énorme » vient du Latin « enormus » qui signifie « hors de la norme »). Mais la monstruosité n’est pas que physique. Elle peut être aussi intérieure, qu’il s’agisse de dons surnaturels comme souvent les super-héros de notre enfance (hyper acuité, télépathie …) ou morale. Car le monstre est aussi ce qui est effrayant moralement, ce qui dérange l’ordre moral de la société. Le monstre crée du désordre. Et c’est pour cela que même lorsqu’il est inoffensif, celui qui est monstrueux est au mieux mis en marge de la société au pire traqué et tué.

Tiens, tout ça me fait penser à ce que chantaient les Cramps …

Well I’m a human fly

I-I spell F-L-Y

I say « buzz buzz buzz »

A-and it’s just becuz

I-I’m a human fly

A-and I don’t know why

I got 96 tears and 96 eyes

The Cramps, Human fly, 1978

Et ça c’était avant Cronenberg et son histoire de mouche (1986) encore plus tragique que la Métamorphose de Kafka …

Le monstre, bien que dégoûtant et effrayant, fascine. Oui, parce-qu’il est hors norme, parce-que nous aimons nous confronter à nos peurs, parce-qu’aussi nous aimons nous rassurer (s’il anormal, je ne le suis pas), mais aussi parce-qu’il n’est pas si différent de nous. En effet, le monstre est à la fois assez différent de nous pour étonner et assez proche pour mettre mal à l’aise, voire pour compatir. Car le monstre n’est pas alien, il est légèrement décalé, ex les vampires et loups garous ou le minotaure qui a une tête de taureau sur un corps d’homme.

Evidemment, chaque société a ses monstres … et nous trouvons monstrueux ce que d’autres trouvent normal.

Comment devient-on monstre ?

Il y a deux possibilités : 

  • On peut être monstre de naissance, comme les monstres de foire ou le yéti.
  • On peut être monstre par accident, comme le loup-garou, le vampire, le zombie, le mutant ou le super-héros.

On peut aussi être faussement monstre, c’est-à-dire considéré par les autres comme un monstre, que cela soit justifié par les conceptions sociétales de la monstruosité ou que la monstruosité soit simplement question de perspective (on y reviendra).

L’évolution du monstre

Bien-sûr, nous avons tout un background de la monstruosité. Mais les goûts en matière de monstres ont changé.

A la télé, le blob n’effraie plus personne. Le vampire est devenu sexy, comme le loup-garou (lorsque sa laideur n’est pas poussée à son paroxysme par les effets spéciaux). Les sirènes sont parfois effrayantes mais depuis des siècles, elles sont plus souvent attirantes, même quand elles présentent des branchies. A noter : dans Harry Potter, les sirènes sont bien des sortes de femmes poissons mais elles sont très méchantes, très laides, et très dangereuses. Le monstre du Loch Ness n’intéresse qu’une poignée d’ahuris en short et chaussettes montantes (non, je ne parle pas des touristes allemands), comme le yéti. Les zombies sont peut-être les monstres qui ont le mieux vieilli, parce-qu’ils n’ont cessé de se renouveler pour coller aux enjeux de l’époque. Ainsi, ils ne sont plus zombies simplement parce-qu’ils se sont réveillés de leur sommeil éternel dans cet état, mais à cause d’un accident nucléaire ou d’une épidémie. Ils ne sont plus lents et idiots mais rapides et dangereux. Ils sont plus des mutants que des morts-vivants.

Enfin les sorcières connaissent un regain d’intérêt ces derniers temps chez les féministes (mais ce sera le sujet d’un prochain article).

Dans l’Antiquité et au Moyen-Age, le monstre fait partie de la mythologie, et il a une fonction socio-culturelle. Il n’est pas un humain difforme mais un demi-dieu, un humain transformé ou tout simplement une créature mythologique.

Avec la Renaissance et les explorations des Européens, arrivent de nouveaux monstres. Par exemple, Jean de Léry dans Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, rapporte qu’un peuple d’Amérique du Sud, le cinocéphales, auraient des têtes de chiens sur des corps d’humains … C’est qu’à cette époque, une grande partie du monde est encore inconnue des Européens et nimbée de mystère.

Source : sinphaltimus.deviantart.com

A l’époque moderne, le monstre se décale, et s’axe plutôt sur la difformité humaine.

Depuis le XIXe siècle, et notamment avec Mary Shelley, on s’interroge sur une autre forme de monstre : le monstre en nous. Dans Frankenstein, dont le sous-titre est « Le Prométhée moderne », l’autrice met en garde contre l’hybris mais aussi contre les dérives de la science et interroge la monstruosité : finalement, qui est le monstre dans cette histoire ? Est-on monstre par essence ?

Victor Hugo dans « Le roi s’amuse » (1832), souligne que le monstre n’est pas toujours celui qu’on croit (d’ailleurs, la pièce fait du bruit et pour l’adapter, Verdi doit changer quelques détails et non des moindres, puisqu’il remplace le roi par un duc) et Richard Matheson, plus tard, posera la même question dans « Le journal d’un monstre » (1950).

C’est l’époque de la révolution industrielle et des expériences scientifiques. On se désintéresse des montreurs d’ours et autres saltimbanques pour leur préférer les monstres de foire, ces humaines difformes que l’on montre dans des cages ou dans des spectacles. Tod Browning en fait un film, qui sera très mal accueilli à l’époque, car dérangeant : il place l’intrigue dans un spectacle itinérant de cirque avec monstres de foire, où les « monstres » sont à la fois sensibles et cruels, ce qui les rend très humains et très dérangeants si l’on n’a pas envie de trop réfléchir à l’âme humaine … Ces monstres-là sont trop proches de nous. Ainsi donc, au XIXe siècle, même si le roman gothique cartonne, on est curieux des monstres humains, qu’on retrouve dans les penny dreadful, romans à 4 sous inspirés de faits divers. On montre les monstres, parfois de manière macabre (exemple : l’histoire de l’Inconnue de la Seine*, dont le corps repêché a été exposé dans une vitrine pour permettre au public de l’identifier, et dont le visage a été moulé par un médecin légiste un peu étrange puis exposé et transformé en masque de déguisement avant de servir de prototype au mannequin de massage cardiaque que nous connaissons). On est curieux des monstres humains, qu’on ne met plus de côté mais qu’on montre, dans des espaces dédiés. Car c’est aussi l’époque (décidément, sacrée époque) des musées de cire.

En Europe on ouvre des musées dans lesquels ont peut admirer des modèles de cire. Mais ce n’est pas le reproduction plus vraie que nature de Michael Jackson que viennent voir les badauds, car on trouve aussi dans ces musées des modèles anatomiques très réalistes des malades de la syphillis, qui fait des ravages à cette période. Les symptômes en sont absolument dégoûtants, mais le plus effrayant est peut-être son effet sur l’esprit, car elle rend fou le malade (Maupassant en est mort et l’évoque déjà dans Le Horla) (il paraîtrait que le fameux Barbe Noire en souffrait, ce qui expliquerait sa personnalité haute en couleur). Plus effrayant encore : c’est une MST qui se transmet aussi de la mère à l’enfant, et on ne sait pas la soigner. L’Etat français profite de cet engouement pour faire un peu d’éducation sexuelle : il crée des tarifs avantageux pour les militaires souhaitant visiter les musées.

Les monstres dans les arts et la pop culture

Que ce soit dans la Littérature, dans le Cinéma, dans la Peinture … ou dans la tradition orale, le monstre est présent depuis toujours. Le traitement de cette figure peut avoir plusieurs objectifs. Il peut permettre d’expliquer un phénomène qui pose question, mais il peut aussi avoir une visée moralisatrice (dans les contes, par exemple, les monstres, inquiétants, ont une fonction socio-culturelle : restez à votre place, n’allez pas dans les bois la nuit car il y a des loups et/ou des égorgeurs d’enfants …) ou d’inviter à réfléchir sur la condition humaine (en 1869 dans « L’homme qui rit » par exemple, Hugo invite à réfléchir tant sur l’Histoire que sur la question de la misère et du coeur humain), sur ses propres peurs, sur la différence … Enfin, le monstre peut simplement être un moyen pour l’auteur de divertir le public (par exemple Dracula de Bram Stoker et la majorité des romans gothiques, dérivés des mélodrames en vogue à l’époque, ou les livres d’H.P Lovecraft).

L’éroïc-fantasy, avec à sa tête Tolkien, reste un bon moyen de rencontrer des monstres variés, avec comme particularité contrairement au fantastique de se dérouler dans un univers soit complètement inventé mais à tendance médiévale, soit simplement médiéval, et on voit un regain d’intérêt pour ce genre, notamment avec Game of Thrones. On y trouve dragons, goules, créatures fantastiques comme les elfes ou les sorcières …

Le cinéma aussi, avec tout un éventail de films d’horreur allant du loup-garou à l’enfant diabolique en passant par les fantômes, les mutants et les fous. Mais aussi avec toute une panoplie de monstres sexy (liste non exhaustive : Twilight, Buffy contre les vampires, Entretiens avec un vampire, Teen wolf, Vampire diaries … beaucoup de vampires, tiens), de mutants et de super-héros. On trouve aussi nombre de monstres dans le cinéma fantastique, qui peut s’infiltrer dans tous les genres, car le monstre, par sa diversité de formes et de fonctions, pénètre tous les genres et les arts.

Bien-sûr, les monstres ne sont pas toujours méchants, et ils ne sont pas toujours repoussants non plus. Par exemple dans les films d’Hayao Miyazaki les créatures fantastiques sont souvent bien gentilles tandis-que les humains ou les sorciers.ères peuvent être très cruels et pleins de nombreux travers. Dans les films de Tim Burton, très inspirés de l’univers gothique, la monstruosité et le glauque prennent des allures pop et permettent de relativiser la question de la mort et de l’au-delà, ou de se divertir.

La morale de l’histoire

Quel rôle pour les monstres dans notre société ? Avec l’hyper information et la mondialisation, a-t-on un peu perdu de notre naïveté ? Les monstres qui font vraiment peur sont-ils les humaines (serial killers, fous, etc) plutôt que les créatures fantastiques d’autrefois ? Le XXe siècle et ses guerres mondiales et génocides a-t-il marqué un tournant qui a signé la fin des films d’horreur ? Pas sûr ! Car la force du monstre est justement sa grande capacité à coller avec les enjeux de son époque.

* Article sur L’Inconnue de la Seine :

https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2020-12-17/qui-est-linconnue-de-la-seine-cette-femme-qui-a-permis-de-sauver-25-millions-de-vies-fb5bada1-1bb4-4370-87c9-17cb986884e8

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