the-gorgon-1964

Pour une réhabilitation des Méduses

Pour cette semaine consacrée à la Sant'Andria et à Halloween, je vous propose de revenir sur une figure monstrueuse : la Méduse (non, pas celle qui nous fait sortir de l'eau en hurlant à Terre Sacrée, celle-là ce sera pour une autre fois).

Petite-fille de Gaïa (la Terre), Méduse est une divinité primordiale de la mythologie grecque. Rien que ça. Ses cheveux sont des serpents et son regard pétrifie les humains. Des trois soeurs Gorgones, elle est la seule à être mortelle. C’est quand-même pas de chance. Mais elle est aussi la plus belle. Ca compense (un peu). Dans l’une des versions du mythe, Méduse est très fière de ses magnifiques cheveux et c’est pour cela qu’Athéna, qui n’a vraiment rien d’autre à faire de ses journées que de martyriser une jeune fille, décide de la punir en la transformant en monstre. Au passage, ses deux soeurs subissent le même sort. Après tout, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. 

Le Caravage, Méduse, ca 1597

Dans la version la plus connue du mythe, au départ Méduse est une belle jeune femme. Pas de chance, car Poseidon tombe amoureux d’elle. Comme il est d’usage lorsqu’on est amoureux, Poseidon décide de la violer dans un temple dédié à Athéna. La boulette. La déesse est furieuse et décide de punir … Méduse. Elle change ses cheveux en serpents et la dote d’un regard meurtrier. Parlez-moi de victim shaming… Ah, les divinités grecques … On a plutôt intérêt à être dans leurs petits papiers ! Encouragé par Athéna (décidément, elle ne lâche pas l’affaire …), Persée part en quête de la grotte où vivent Méduse et ses soeurs. Il décapite Méduse (de son corps sans vie naissent Pégase, le cheval ailé, et Chrysaor) et garde sa tête (après tout c’est vrai qu’elle peut encore servir, cette pétasse). Il pétrifie deux ou trois personnes et finit par offrir la tête à Athéna, qui la fixe à son bouclier. Personnellement je préfère qu’on m’offre des fleurs, mais chacun son truc. Voilà pour la petite histoire. 

Le mythe de Méduse est plus complexe qu’il n’y paraît. D’abord, il existe de nombreuses versions, dont certaines romancées. De plus, comme dans tous les mythes grecs, la symbolique est abondante et évidemment pleine de double-sens. Par exemple, Ovide (l’auteur des Métamorphoses) fait de Méduse une belle jeune femme qui a le pouvoir de séduire les hommes pour ensuite les changer en pierre. Un passe-temps comme un autre. Cette version du mythe n’est pas sans rappeler l’histoire de Circé qui comme Méduse d’ailleurs, a perdu dans la réécriture de son mythe sa qualité de divinité pour celle de sorcière (elles sont ainsi en quelque sorte les premières femmes fatales chéries par la mythologie et le cinéma hollywoodien).

Méduse, clairement désespérée de pouvoir jamais se coiffer correctement, Le Bernin (attribuée), ca 1640

Symboliquement, Méduse est une figure de la dualité. Son sang, recueilli par Athéna et offert à Asclépios, le dieu de la médecine, a le don de rendre la vie (lorsqu’il provient de la veine droite) mais aussi celui de tuer (lorsqu’il vient de la veine gauche), ce qui est un topos de la médecine en Littérature et mythologie (l’idée que le poison peut être un remède et inversement). Fondamentalement, elle est duelle : à la fois belle et monstrueuse, désirable et effroyable, puissante et fragile. D’ailleurs, si la Gorgone vivante est dangereuse, la Gorgone morte est bien pratique : la représentation de sa tête tranchée, portée en amulette (gorgonéion), est ainsi censée éloigner le mauvais oeil.

La perception de Méduse s’est modifiée au fil du temps. Le mythe a alimenté des recherches et oeuvres sur la puissance du féminin, le pouvoir du regard, le rapport au monstrueux, le thème de la dualité … La figure de Méduse est toujours présente dans la culture contemporaine, dans le cinéma par exemple (pensez Percy Jackson ou La Gorgone).

La Gorgone, 1964

Tout comme la sorcière est devenue symbole des féministes, je propose de réhabiliter la figure de Méduse. Après tout, qui, en se réveillant au matin d’un bad hair day après avoir avalé en se brûlant la langue un café très moyen, n’a pas envie de changer en pierre les passagers trop bruyants de sa rame de métro ?

https://www.franceculture.fr/emissions/nous-serons-comme-des-dieux/les-deesses-vierges-athena-ou-l-eblouissement

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