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Pourquoi il faut (re)lire Madame Bovary

En écrivant l'histoire d'Emma Bovary, Flaubert s'était fixé un objectif : écrire un livre sur rien. A première vue, le pari n'est pas atteint : le roman a bien un sujet, des personnages, une intrigue ... Pourtant, en y regardant de plus près, c'est bien le rien qui est au coeur de la vie de l'héroïne. Un sujet qui est loin d'être démodé ...

En écrivant l’histoire d’Emma Bovary, Flaubert s’était fixé un objectif : écrire un livre sur rien. A première vue, le pari n’est pas atteint : le roman a bien un sujet, des personnages, une intrigue … Pourtant, en y regardant de plus près, c’est bien le rien qui est au coeur de la vie de l’héroïne. Un sujet qui est loin d’être démodé …

Résumé

Charles Bovary est un jeune homme de peu d’esprit et à la vitalité d’une pâte à pain. Il réussit tout de même, sans être brillant, l’examen d’officier de santé, ce qui lui permet d’exercer en tant que médecin. Sa mère lui fait épouser une veuve de 45 ans, laide mais riche. La vie conjugale est évidemment peu réjouissante et Charles tombe sous le charme de la jeune Emma Rouault lors d’une intervention médicale à la ferme de son père. Son épouse, jalouse, lui interdit de fréquenter les Rouault. Heureusement pour Charles, elle meurt (ruinée) peu de temps après. Charles demande alors la main d’Emma et le mariage est rapidement organisé. Le couple s’installe mais dès le départ, la vie conjugale est loin des attentes romanesques d’Emma. Une lueur d’espoir apparaît pourtant : les Bovary sont invités au bal de Vaubyessard, chez le Marquis d’Andervilliers. Emma est émerveillée mais son émoi retombe vite : le retour à la vie de petite bourgeoise campagnarde l’enfonce encore plus dans la mélancolie. Son mari lui apparaît de plus en plus médiocre et elle s’ennuie ferme. Elle devient de plus en plus aigrie et souffre de maladie nerveuse. Charles décide alors de déménager dans l’espoir de redonner le sourire à son épouse. Car Charles aime Emma. Malheureusement, les choses sont pires qu’avant. Emma donne naissance à une fille, nommée Berthe, en référence à une jolie jeune femme croisée au bal. Mais la vie de maman ne lui sied pas, et elle s’ennuie toujours. Elle tombe amoureuse de Léon, un jeune clerc de notaire, mais celui-ci quitte la ville sur fond de rumeur d’infidélité. Charles, cependant, ne remarque rien. C’est Rodolphe qui succèdera à Léon dans le coeur d’Emma. Mais une lettre de celui-ci met fin à leur liaison alors qu’Emma avait accepté de fuir avec lui. Entre temps, Charles a mal soigné un patient, et celui-ci perd sa jambe. Emma se jette à nouveau dans les bras de Léon. Emma est heureuse en amour mais honteuse de l’incompétence de son mari et criblée de dettes à cause de nombreux achats de toilettes. Elle suggère à son amant de voler de l’argent avant de supplier Rodolphe de lui en prêter, ce qu’il refuse. Emma est anéantie : elle décide de se suicider et avale de l’arsenic trouvé dans la réserve de Charles. Elle agonise pendant des jours et finit par mourir. Charles dévasté par le chagrin, se laisse mourir, tenant contre lui une mèche de cheveux de sa femme. La petite Berthe est orpheline. Elle est confiée à sa tante, qui la fait travailler dans une filature de coton.

Pourquoi ce roman dont le récit peut sembler anecdotique est en fait particulièrement intéressant

Quand j’ai lu Madame Bovary, j’avais 15 ans et j’ai détesté. J’ai trouvé tous les personnages extrêmement antipathiques et le roman ennuyeux. Mais une adaptation par France Culture m’a fait changer d’avis. J’ai redécouvert l’oeuvre et heureusement, car je m’étais complètement trompée ! J’ai compris le roman. J’ai eu alors de la compassion pour Madame Bovary et j’ai repensé aux mots de ma prof de français de lycée : « On est tous des Madame Bovary. »

Ce n’est pas pour rien que Madame Bovary est un classique. Evidemment, c’est un livre de Flaubert, qui est un auteur on ne peut plus classique. Ensuite, c’est extrêmement bien écrit. Flaubert a un talent fou pour plonger le lecteur dans le récit, notamment par des descriptions virtuoses.

Mais surtout, c’est un roman qui dit beaucoup (ce n’est pas pour rien qu’il a fait scandale, notamment sur la question de l’adultère, et amené Flaubert devant la cour).

Un tableau de moeurs

Paru en 1857, Madame Bovary est d’abord le tableau d’une époque. On y découvre la vie de la petite bourgeoisie provinciale (car les Bovary sont de très petits bourgeois), et en cela le bal de Vaubyessard est extrêmement douloureux pour Emma, qui entrevoit tout ce dont elle a toujours rêvé mais qui est hors de sa portée, d’une part du fait de sa classe sociale, et de son mariage, mais également du fait de sa qualité de femme (nous y reviendrons).

On y observe notamment la vacuité de la vie de la bourgeoisie provinciale. Emma n’a, pour sortir de sa lassitude, que les vêtements, pour lesquelles elle s’endette, et des liaisons infertiles.

« L’histoire, l’aventure d’un roman, ça m’est bien égal. J’ai l’idée, quand je fais un roman, de rendre une couleur, un ton…/…Dans Madame Bovary, je n’ai eu que l’idée de rendre un ton gris, cette couleur de moisissure d’existences de cloportes. »

Gustave Flaubert, 1861

Une question d’éducation

Charles est la première victime d’une éducation de petit bourgeois. Issu d’un milieu relativement modeste, sa mère rêve pour lui une meilleure situation financière et sociale, quitte à le pousser dans un premier mariage malheureux et dans une carrière pour laquelle il n’a ni le goût ni les compétences. Mais quoi de plus socialement reluisant qu’un médecin ?

Emma est la victime principale. Certes, elle n’est pas poussée comme Charles dans un mariage de raison sans amour. Elle pense être amoureuse de Charles et son père croit bien faire en autorisant leur union. Mais son éducation, d’abord à l’école du village puis au couvent, et son goût pour les romans de chevalerie et les histoires d’amour (notamment Ivanhoé de Walter Scott et plus tard les poèmes de Lamartine), qui sont sa seule échappatoire, lui ont donné de l’amour, du mariage et de la vie des attentes trop grandes que la société, et encore moins Charles, ne peuvent satisfaire. Dès la nuit de noce, la déception est au rendez-vous, et tant sa nouvelle vie avec Charles que la découverte du caractère et de l’incompétence de celui-ci ne font qu’aggraver la situation. Malheureusement pour Emma, en tant que jeune femme de la petite bourgeoisie de province, elle n’a d’autre choix que de se marier.

Emma n’a même pas de hobby pour se distraire : la société de la petite ville dans laquelle le couple s’est établi n’est pas des plus amusantes, ni des plus intéressantes, et à l’époque, une femme, qui plus est une femme peu instruite comme Emma, n’a pas beaucoup de choses à faire hormis broder, se promener et gérer la maison.

La maternité ne console pas Emma. Sa fille ne l’intéresse pas. Elle la trouve laide. En fait, elle est incapable de l’aimer, d’en prendre soin (elle lui fait mal sans le vouloir en tentant de jouer avec elle), de se sentir mère. Elle n’a malheureusement pas eu le choix, ni le loisir de se poser la question de savoir si elle voulait être mère.

Emma se jette donc dans les bras de deux hommes mais ceux-ci, bien que lui faisant croire à leur amour (bien-sûr Emma est naïve mais Léon est trop lâche pour l’aimer autant qu’elle le voudrait et Rodolphe est simplement malhonnête et égoïste), ne lui sont d’aucun secours. Pire : ils lui brisent le coeur et l’enfoncent encore plus, ne lui tendant même pas la main lorsqu’elle est au fond du trou.

C’est d’ailleurs pour toutes ces raisons que je trouve l’adaptation de Sophie Barthes de 2014 relativement ratée. D’ailleurs, je crois qu’elle se trompe lorsqu’elle dit que si Emma avait été pianiste ou écrivaine elle aurait mieux supporté la névrose et qu’elle fait face à un vide existentiel qu’elle crée, plutôt qu’à un manque de distractions. Comment Emma aurait-elle pu avoir l’incroyable impulsion de se trouver des occupations artistiques quand rien ne l’y pousse dans son éducation et son environnement ? Mia Wasikowska est une très bonne actrice et elle s’en sort très bien dans le rôle d’Emma. Les décors, les costumes et les plans sont beaux. Mais quid de la fin du roman ? Pour moi, faire mourir Madame Bovary de manière presque immédiate, dans les bois, est une erreur. Tout l’intérêt de la fin du roman est l’échec. Emma échoue dans sa mort, qui est tout sauf romanesque (elle agonise pendant longtemps, souffre atrocement, est laide …). Charles meurt de chagrin apathique. Berthe, qui n’est qu’une enfant, régresse dans l’échelle sociale et est promise à un avenir pathétique. Et les amants de Madame Bovary aussi bien que ses créanciers s’en sortent le mieux du monde.

Rien. La vie et la mort de Madame Bovary n’auront eu que peu d’influence sur le monde …

Pourquoi Madame Bovary est encore d’actualité

  • Parce-que dans nos sociétés européennes l’éducation des enfants est encore très genrée et que les filles rêvent encore au prince charmant
  • Parce-que la question de la liberté sexuelle des femmes pose toujours débat
  • Parce-que le livre pose très finement la question de la maternité en remettant en question l’idée de l’instinct maternel et en soulignant que ce n’est pas parce-qu’on est une femme qu’on peut être une mère, et qu’on peut fabriquer un être vivant sans pour autant l’aimer ni même aimer son mari
  • Parce-que le livre pose, bien avant les philosophes de l’absurde et l’existentialisme, la question de l’ennui, de la vacuité de l’existence, de la recherche de sens, de l’oppression sociale, de l’enfermement dans son propre esprit …

Finalement …

J’ai toujours eu peur d’être une Madame Bovary en puissance. Mais ma prof avait raison : nous avons tous un peu de Madame Bovary en nous. Surtout en cette période troublée … Car il faut bien de la force mentale pour trouver du sens à des cours de théâtre par visioconférence et des apéros du Nouvel An en pyjama et pour ne pas se laisser choir face à la fragilité de la vie humaine. Mais, contrairement à Madame Bovary, nous avons, nous, les moyens de sortir de notre cage : si effectivement la pandémie a révélé plus encore les failles de notre système, un avenir différent est envisageable. Un espoir qu’Emma n’a pas.

Liens utiles

L’adaptation radiophonique de France Culture :

https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/madame-bovary-de-gustave-flaubert-510-livresse-de-ladultere

Quelques émissions France Culture :

https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-le-feuilleton/le-proces-de-madame-bovary-35-par-sylvie-peju

https://www.franceculture.fr/litterature/madame-bovary-et-flaubert-reinvente-le-roman

https://www.franceculture.fr/emissions/le-malheur-des-uns/madame-bovary-ou-les-malheurs-du-romantisme

La page Wikipédia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Madame_Bovary

Le texte intégral :

https://fr.wikisource.org/wiki/Madame_Bovary

La bande-annonce du film de Chabrol :

https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=6623.html

Unsolicited Opinion

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