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Rock’n roll et mélancolie – Billet d’humeur

Ah, le confinement ! Dehors, une menace invisible rôde. On s’est retranchés dans nos appartements avec le nécessaire : wifi, chocolat, plaid et bouquins. Certains en famille, d’autres en amoureux ou entre amis, d’autres seuls ou avec un chat. Pour les optimistes, c’est l’occasion de lire l’intégrale de Proust, d’apprendre le crochet ou de se lancer dans la cuisine brésilienne en attendant que la menace soit écartée. Pour les pessimistes, cette période d’enfermement forcé n’est qu’une attente de la fin du monde (de toute façon, ils nous avait prévenus). Pour les autres, l’humeur fluctue. Car être cloîtré chez soi pendant des semaines, quoi qu’on en dise, ça pèse un peu sur le moral.

L’enfermement, avec pour seule fenêtre sur l’extérieur les journaux tv remplis de politiques à la langue de bois et les posts Internet alarmistes, couplé à une masse de travail imposante ont formé dans mon corps un cocktail détonant. Les jours passaient et se ressemblaient. Comme l’horizon, la fin du confinement ne semblait jamais se rapprocher. J’ai déprimé comme cela ne m’était plus arrivé depuis longtemps. Après avoir fini mon travail (je suis une fille sérieuse), j’ai fait la seule chose à faire : j’ai lancé une bonne playlist, j’ai déprimé en regardant le plafond cinq minutes, et puis j’ai écrit un article. Tout ça pour partager avec toi, cher lecteur ou chère lectrice, mon humeur de ce soir.

Quand j’étais plus jeune, je ne comprenais pas pourquoi les gens qui étaient tristes écoutaient des chansons tristes. Vers 14 ans, j’ai découvert Nirvana et surtout Joy Division (le groupe qui porte le plus mal son nom du monde) et je me suis plongée avec délice dans cette déprime adolescente que je ne comprenais pas, qui me semblait une chose à la fois intangible et quotidienne, familière, que je ressentais et que je nourrissais de ces chansons lugubres (honnêtement, si vous voulez achever un dépressif, faites-lui écouter « Something in the way »).

Ce n’est que récemment que j’ai compris l’énorme pouvoir de la musique sur l’esprit humain. Comprenez-moi bien : j’ai toujours adoré la musique. Je passais des heures à écouter mes albums préférés et à chercher toutes les infos possibles sur les groupes et les morceaux sur Internet, à télécharger des morceaux un par un et à chercher les images des albums sur Google pour les mettre sur Itunes, et à graver des CD. Mais je n’avais pas étudié la question. Récemment, j’ai saisi qu’une seule chanson peut décider de ton humeur pour toi. Parfois, une chanson triste mal placée peut te plonger dans une tristesse inexplicable, et une chanson gaie te donner la pêche pour la journée.

Heureusement pour moi, ma tendance mélancolique n’est pas trop profonde. C’est plus une déprime du genre Smiths que Beethoven, donc je m’en sors bien. Et c’est là où je veux en venir.

Quand tu es triste, mais alors vraiment triste, triste apathique, genre triste à regarder la pluie tomber par la fenêtre les bras en croix sur ton lit défait, tu mets une playlist adaptée de chansons déprimantes. Il y a des déprimes qu’on ne peut pas soigner avec des chansons joyeuses. Il y a des fois où même ABBA ne peut rien pour toi. Au contraire. Tu as envie de les gifler, ces sales discoteurs. Quand tu es déprimé comme ça, les chansons gaies te passent à trente pieds au-dessus de la tête, elles glissent sur ta peau sans pénétrer ton corps, ton coeur. Pire : elles t’agressent. Alors que tout ce que tu veux c’est te rouler en boule en attendant le déluge ou t’allonger par terre en laissant couler tes larmes sur le carrelage froid (car tu n’es pas dramatique pour un sou). 

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Je ne vais pas nier les bienfaits d’une bonne séance de déprime apathique sur la santé. C’est bien de prendre le temps de déprimer parfois. Pour ce genre de moments, Erik Satie est parfait. Mais alors là on s’enfonce jusqu’aux yeux dans la mélancolie. Que faire si on est déprimé mais qu’on n’a pas le temps de se laisser porter par des sonates de piano composées par des jeunes gens dépressifs du XIXe siècle (oui Chopin, c’est de toi que je parle) mais qu’on n’a pas non plus la volonté nécessaire pour donner un coup de pied et remonter tout de suite à la surface ? Réponse : on fait des bulles.

On écoute du rock. Mais pas n’importe lequel. On écoute du rock déprimé. Les Kills, les Smiths, Massive Attack, Echo & the Bunnymen ou Siouxie and the Banshees, Joy Division bien-sûr et les Cure, New Order et les Strokes, ou Radiohead, voire Kraftwerk (« Radioactivity » est vraiment un plus dans une playlist déprimante). De la déprime rythmée. La basse planante et les rythmes saccadés nous entrainent avec eux dans la déprime mais nous énergisent juste assez pour ne pas qu’on sombre. C’est un équilibre délicat que la New Wave et le Post Punk ont su trouver.

Avec un peu de chance, à la fin de votre playlist vous avez mis « Reptilia » et ça va vous donner le coup de pied nécessaire pour vous lever, faire votre lit, vous jeter un peu d’eau sur le visage, vous donner un coup de peigne et reprendre votre vie là où vous l’aviez laissée avant de vous laisser tomber, les lèvres tremblantes de chagrin, à côté de la fenêtre où il ne pleut même pas.

Unsolicited Opinion

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