Tristesse 1

Bonjour Tristesse

Dans la chaleur indolente de l’été, un drame se déploie lentement, inexorablement, porté par la cruauté d’une adolescente qui se découvre un pouvoir insoupçonné.

L’été, c’est le temps des vacances et de l’amour (comme bien résumé par Niagara). La chaleur pesante, l’air marin, le désœuvrement total, l’insouciance … C’est aussi pour beaucoup d’auteurs le décor parfait d’un drame psychologique en huis-clos (pensez à La Piscine par exemple) synthétisé par le contraste entre la douceur du temps qui s’allonge lascivement et la violence des sentiments. Bonjour Tristesse est un de ces petits chefs-d’œuvre.

Bonjour tristesse, Otto Preminger, 1958

Dans ce premier roman, paru en 1954 et adapté à l’écran par Otto Preminger en 1958, Françoise Sagan (qui n’a alors que dix-huit ans) brode un récit d’une subtilité saisissante porté par la voix d’une narratrice qui est également l’héroïne. 

Les éléments du drame sont somme toute assez simples. Il y a Cécile, dix-sept ans, son père, Raymond, célibataire endurci qui change de maîtresse comme de chemise (chemises dont Otto Preminger nous fait d’ailleurs un beau défilé), Elsa, la maîtresse du moment, « demi-mondaine » accablée de coups de soleil et d’une totale insouciance, Cyril, le marin amateur de la maison d’à côté, et enfin la belle et froide Anne, tous réunis dans une villa au bord de la mer pour les vacances et tous attachés par un même fil que Cécile se plaît à tirer.

Bonjour tristesse, Otto Preminger, 1958

Le drame est annoncé dès les premières phrases du roman : « Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse (…) Aujourd’hui, quelque-chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. » La narration de Cécile est froide, distante, détachée. C’est d’ailleurs cette capacité à se distancier totalement des conséquences dans une attitude très adolescente tout en étant absolument incapable de se contrôler qui fait de Cécile un personnage affreusement intéressant. En effet elle est à la fois « metteur en scène » du drame qui se joue et jouet de ses propres pulsions. Elle regrette dès que ses plans fonctionnent mais ne peut s’empêcher de les mettre en oeuvre et le moindre évènement vient raviver son feu. Cécile est un corps agissant plus que pensant, est dirigée par ses impulsions, étonnée elle-même de ce qu’elle fait, à la fois dégoûtée et fascinée par ce qu’elle arrive à faire et à faire faire à tous. Elle s’observe agir plus qu’elle n’agit. 

Bonjour tristesse, Otto Preminger, 1958

A sa parution, le livre a fait scandale et on comprend pourquoi. Cécile est une femme fatale en devenir. Habituée à une vie frivole et superficielle, elle se découvre au cours de l’été bien plus intelligente et bonne manipulatrice qu’elle l’aurait pensé. Elle manipule d’autant plus facilement les autres personnages que ceux-ci lui vouent un amour inconditionnel, la mettant ainsi au-dessus de tout soupçon. Après tout, ce n’est qu’une enfant … Et c’est bien là le noeud du problème : Cécile est bien une enfant dans ses raisonnements (elle peine à prendre en compte tous les enjeux sur le long terme) mais elle joue avec des situations d’adultes. Les adultes sont d’ailleurs remarquablement ignorants de ce qui se trame dans la tête de la jeune fille. C’est également pour Cécile la découverte de l’amour dans ce qu’il a de dangereux, douloureux (et de fascinant) : la jalousie, le pouvoir, le remords. Une tristesse profonde qu’on cache et qu’on ne laisse sortir que la nuit, seule dans son lit, et à laquelle on s’habitue, qu’on embrasse, qu’on accueille comme une amie. C’est enfin, bien avant la révolution sexuelle, la présentation d’une jeune femme qui prend de l’amour seulement ce qui lui convient. 

Bonjour tristesse, Otto Preminger, 1958

Tout ceci est porté par une virtuosité de Sagan à décrire, avec des phrases courtes et coupantes, une cruauté d’autant plus terrible qu’elle prend la forme d’une insouciance poussée à son paroxysme, qui, entre deux phases de pleine conscience, reprend toujours le dessus, et à enlever le lecteur dès les premières lignes pour l’amener sans qu’il s’en rende compte au dénouement, un dénouement d’une implacable fatalité. 

Bande annonce de Bonjour Tristesse

Unsolicited Opinion

Partager

Découvrez d'autres publications :

Bonjour Tristesse

Dans la chaleur indolente de l’été, un drame se déploie lentement, inexorablement, porté par la cruauté d’une adolescente qui se découvre un pouvoir insoupçonné.

Voir la suite »

La moiteur

Je vais vous parler d’un temps que les moins de 16 ans ne peuvent pas connaître (espérons pour eux qu’ils le connaîtront bientôt) …

Voir la suite »