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L’Ombre du Caravage

Si vous aimez l'Art et l'Italie, ou que vous cherchez à vous convaincre que finalement, notre époque est plutôt sympa, c'est par ici pour une petite critique du dernier film de Michele Placido, "L'Ombra di Caravaggio", en salles en ce moment !

Sexe, amour, meurtre, Art et Inquisition … tout est dans le dernier film de Michele Placido ! Je l’ai vu et, une fois n’est pas coutume, je vous donne mon Unsolicited Opinion sur le sujet !

Image du film (Allociné) Page du film : https://www.allocine.fr/film/fichefilm-286774/photos/detail/?cmediafile=21953933

Ainsi commence le film : en 1610, le Pape a ordonné la condamnation à mort du Caravage, qui a tué un notable romain. De puissants soutiens du peintre, qui a fui à Naples, demandent sa grâce. Cependant, le Pape hésite car au meurtre présumé s’ajoute un péché plus grand encore : le Caravage a pris pour modèle d’un portrait de la Vierge une prostituée des bas-fonds de Rome … Le réalisateur adopte un angle intéressant : celui d’une enquête menée par L’Ombre, un inquisiteur chef des services secrets du Pape, qui vise à déterminer si le peintre doit rester en vie ou non. Le récit avance par flashbacks au fil des témoignages des amis et ennemis du Caravage.

La reconstitution est impressionnante : on plonge véritablement dans les bas-fonds de Rome et Naples, on se frotte à la misère des quartiers pauvres, à la violence omniprésente y compris dans les plus hautes sphères, et à la rigueur de la morale de l’Eglise, qui craint les peintures du Caravage autant qu’elle admire son talent car il est inconcevable pour le Clergé que le peuple, illettré, puisse douter du dogme en admirant ses tableaux. En effet, le Caravage peignait ce qu’il pensait être « le vrai », le « réel », en prenant pour modèles de ses tableaux aux sujets souvent bibliques des miséreux trouvés dans la rue, dans les bordels ou dans les tavernes. Une démarché considérée comme dangereuse par l’Eglise car le Caravage non seulement souille la pureté des sujets religieux en prenant pour modèles des gens du peuple au moeurs immorales, mais également met en doute le dogme de l’Eglise tant d’un point de vue artistique que d’un point de vue philosophique, en rapprochant du peuple les figures bibliques. Or, il est nécessaire pour garantir l’ordre établi que Dieu, les Saints et l’Eglise soient bien au-dessus du peuple.

Autre aspect important de la reconstitution : l’acteur principal, Riccardo Scamarcio, ressemble énormément au peintre, et l’incarne parfaitement. Enfin, entre l’accent napolitain, les piques que se lancent les personnages et les scènes de bagarre, sans parler des scènes de tennis dans des ruines romaines, on a vraiment l’impression d’y être.

Autoportrait de Michelangelo Merisi, dit Le Caravage

Au-delà du réalisme, il s’agit d’un beau film. La mise en scène est belle, avec des plans assez oniriques au milieu de ruines romaines ou sur fond de Castel Sant’Angelo, et des scènes qui recréent ou rappellent souvent la construction de tableaux du peintre.

Saint Jérôme écrivant, Caravage, ca 1605/1696, Galerie Borghèse, Rome (source : Wikipédia)
Le souper à Emmaüs, Caravage, 1606, Pinacothèque de Brera, Milan (source : Wikipédia)

Cependant, le film a pour moi deux faiblesses. Tout d’abord, on est parfois un peu perdu par les nombreux retours en arrière, et on a alors du mal à identifier la chronologie des événements (surtout que l’acteur ne change pas physiquement dans les flashbacks). Ensuite, le film a parmi ses personnages principaux deux des acteurs les plus connus du cinéma français : Louis Garrel et Isabelle Huppert. Louis Garrel est plutôt convaincant en Inquisiteur. Mais ses accès de colère très soudains qui le font hurler au blasphème ou à l’hérétique ne collent pas, je trouve, avec le personnage, qui est un homme de l’ombre froid et rigoureux, qui est certainement très croyant mais ne peut qu’être au courant du fait que le dogme de l’Eglise n’est pas seulement là pour garantir la foi mais aussi (surtout) pour garantir le pouvoir de certains. A noter : une certaine subtilité dans le personnage, qui admire l’oeuvre du Caravage et est curieux de lui malgré sa vie de débauché. Isabelle Huppert, elle, incarne la marquise Costanza Colonna, soutien indéfectible du peintre. Elle campe bien le personnage (même si elle joue un rôle assez habituel pour elle et qu’il semble qu’elle joue en français mais se soit doublée elle-même en italien, ce qui sonne un peu bizarre). Mais le fait qu’elle soit amoureuse du Caravage (ou en tous cas qu’elle le trouve très très séduisant) apporte pour moi une explication simpliste au fait qu’elle le soutienne, alors qu’il est évident qu’elle admire son travail et reconnaît en lui un génie artistique.

On peut aussi regretter que le film n’aille peut-être pas assez loin, notamment dans la querelle artistique avec les Académiciens, pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas bien les règles qui régissaient la création artistique à l’époque, ou dans l’explication de la technique du peintre, mais l’angle de l’enquête choisi par le réalisateur peut justifier ce manque.

Malgré ces quelques faiblesses, j’ai été complètement aspirée par l’histoire et en sortant la seule pensée que j’ai eu est que c’est un très beau film. Le film se termine sur une scène un peu simpliste mais efficace (que les historiens contesteront), avec la voix du Caravage nous venant d’outre-tombe prononçant ces paroles « Amor vincit omnia », manière de souligner l’héritage du Caravage et de lui offrir une épitaphe. Car « L’Ombre du Caravage », ce n’est pas que l’Inquisiteur qui le suit ou le clair-obscur de ses tableaux, c’est aussi la réputation qui lui a collé à la peau depuis le XVIe siècle, et que le réalisateur cherche clairement à contester en faisant le portrait d’un homme animé par l’amour de l’art, des gens du peuple et de la liberté.

A voir, donc (mais en VO, pour le plaisir notamment d’entendre l’accent napolitain), surtout si vous ne connaissez pas bien ce peintre !

Unsolicited Opinion

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