Le Commentaire

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Entretien avec Laëtitia Descoin-Cucchi, présidente de l’association Inseme

L’association, qui fête ses dix ans cette année, vient en aide aux personnes malades résidant en Corse et qui doivent se déplacer sur le continent pour leurs soins médicaux. Laëtitia Descoin-Cucchi, présidente et fondatrice d’Inseme, dresse un portrait de l’association de 2009 à aujourd’hui.

Comment vous est venue l’idée de créer l’association Inseme ?

Il s’agissait au départ d’une initiative très personnelle liée à ma propre expérience et à celle de ma famille. Les épreuves de la vie nous conduisent à livrer des combats dont il est parfois difficile de se remettre. Avec de l’aide, en travaillant sur soi, on peut arriver à continuer à vivre et arriver à dépasser la maladie et le deuil. Malgré tout, certaines choses ne passent pas et ne se digèrent pas… Pour ce qui me concerne, j’ai toujours vécu les difficultés qui venaient s’ajouter à la maladie comme une double peine injuste et insupportable parce qu’il fallait partir sur le continent pour accéder à des soins. Il ne s’agissait que de questions matérielles, logistiques et financières, je ne pouvais me résoudre à les vivre comme une fatalité.

L’idée est donc partie de là… ne pas se résigner et se mobiliser pour aider les autres à faire face à cette problématique spécifique à la Corse. Nous étions alors très loin de l’organisation actuelle de l’Association qui s’est beaucoup structurée et professionnalisée depuis.

Laëtitia Descoin-Cucchi, présidente et fondatrice de l’association Inseme. / YT Inseme

Quelles sont les missions de l’association ?

Historiquement, la première et la plus importante des missions d’Inseme est une Mission d’Information. Elle s’adresse à tous les Corses lorsqu’ils apprennent qu’ils doivent partir sur le continent. Elle vise à leur proposer un accompagnement personnalisé, sur mesure. Il s’agit la plupart du temps d’un soutien aux démarches administratives auprès des Caisses d’assurance Maladie et des Mutuelles, d’aide à la recherche d’hébergements sur le continent, de mise en relation avec les partenaires associatifs et institutionnels.

Pour cela nous avons mis en place un standard téléphonique, avec des astreintes le weekend pour les urgences et un accueil du public dans nos Bureaux d’Ajaccio et Bastia. Nous nous déplaçons aussi pour aller à la rencontre du public, via des stands d’information lors de manifestations ou de permanences d’information hebdomadaires délocalisées dans les communes rurales.

Rapidement, nous avons compris que l’information est primordiale, mais que pour certains, elle ne suffit pas. Nous avons donc mis en place une Mission de Solidarité qui nous permet de soutenir les familles qui ne peuvent pas faire face aux frais non pris en charge par l’Assurance maladie (hébergement, transport des accompagnateurs). Pour cela, nous attribuons des avances remboursables et des soutiens financiers directs. Nous les mettons également en relation avec des bénévoles en Corse et sur le continent quand c’est nécessaire. Cette Mission nous a aussi conduits à proposer un accompagnement juridique aux malades pour qu’ils puissent défendre leurs droits et également à acquérir 3 appartements sur le continent pour face au manque d’hébergements que rencontrent les familles (T2 + Studio à Marseille et T2 à Nice).

Enfin, nous nous sommes assigné une Mission de représentation des usagers du système de santé. Depuis 2015, l’Association dispose de l’agrément régional délivré par l’ARS pour représenter les intérêts des usagers du système de santé dans les instances prévoyant leur participation. Il s’agit pour nous de nous faire le porte-voix des malades. Inseme siège dans de nombreuses instances (Conseils Territoriaux de Santé, CISS de Corse, UDAF, Conseil de la CPAM de la Corse-du-Sud et CESEC de Corse – Conseil, Economique, Social, Culturel et Environnemental -).

« J’ai toujours vécu les difficultés qui venaient s’ajouter à la maladie comme une double peine injuste et insupportable parce qu’il fallait partir sur le continent pour accéder à des soins. Il ne s’agissait que de questions matérielles, logistiques et financières, je ne pouvais me résoudre à les vivre comme une fatalité. »

Laëtitia Descoin-Cucchi

Combien de personnes y travaillent ?

Nous avons seulement trois Salariées, deux sont à Bastia et une à Ajaccio. Ce sont elles qui accompagnent les familles au quotidien. Le reste de l’organisation repose sur des bénévoles.

Comment avoir recourt à l’association ?

Si un médecin à prescrit un déplacement et que l’Assurance Maladie l’a validé, il suffit de nous contacter par téléphone 04 92 50 22 61 / N° Vert 0800 007 894 (appel gratuit depuis un poste fixe) ou par mail : info@inseme.org et nous sommes également très présents sur les réseaux sociaux, Facebook, Instagram et Twitter.

En 2018, l’association a pu acheter un appartement grâce à la collecte « 1 mois pour 1 toit ». Comment prépare-t-on un travail de cette ampleur ?

C’est en effet un très gros travail qui mobilise toute l’équipe pendant de nombreux mois ! Nous avions lancé une première Collecte en 2017 en travaillant bien en amont avec notre partenaire la plateforme www.move.corsica qui est spécialiste du financement participatif sur internet. Il faut bien cibler son action et préparer une véritable campagne de communication professionnelle pour mobiliser sa communauté au maximum. Au départ, une campagne caritative d’une telle ampleur n’avait jamais été organisée en Corse, il nous a donc fallu essuyer les plâtres et apprendre en marchant… Mais dès la première Edition nous avions bénéficié d’une belle mobilisation et aussi du soutien des médias locaux et de nombreuses personnalités, ce qui nous avait permis de récolter plus de 128 000 € et d’acheter un 1er T2 à Marseille.

Cette année, nous avons décidé de relever le challenge. Nous avons pris le parti de communiquer un peu différemment pour ne pas simplement faire un copier-coller de la première fois. Nous avons choisi de faire parler des bénéficiaires du 1er appartement acheté à Marseille et de montrer en quoi l’hébergement est un problème crucial pour les familles. En 2019, aussi, la générosité des Corses et de nos partenaires a été au rendez-vous puisque nous avons collecté quasiment 250 000 € et que nous avons pu acquérir un T2 à Nice et un Studio à Marseille ! A chaque fois ces résultats sont une immense joie. Les réussites collectives sont les plus belles !

Récemment, l’association a été reconnue d’utilité publique. Qu’est-ce que cette reconnaissance signifie et quels changements cela apporte à la structure ?

La reconnaissance d’utilité publique est accordée par décret en Conseil d’Etat publié au Journal officiel. Lorsqu’une association est reconnue d’utilité publique, sa crédibilité s’en trouve largement renforcée. Elle reçoit en effet un soutien de poids, un signe fort qui vise à renforcer la légitimité de l’action qu’elle mène. Il s’agit, en quelque sorte, d’un « label » de qualité, susceptible d’encourager les dons et les legs.

Peu d’associations en France sont reconnues d’utilité publique. Cela s’explique par l’existence de conditions d’obtention et d’une procédure strictes. INSEME est la première association 100 % corse, non affiliée à une structure nationale, à obtenir cette reconnaissance. Nous en sommes honorés, car cela vient couronner l’engagement, le travail et le sérieux de la démarche portée par les bénévoles, le Conseil d’Administration et toute l’équipe d’INSEME au service des malades depuis 10 ans.

Mais au-delà de la légitimité apportée par cette décision, le plus important est surtout qu’elle permet désormais à l’Association de recevoir des donations et des legs. Jusqu’à présent, comme les autres associations déclarées nous ne pouvions recevoir que des dons manuels. Obtenir cette possibilité offerte aux seules associations reconnues d’Utilité Publique est particulièrement importante pour nous. Elle nous permettra, je l’espère, de continuer à acquérir des hébergements pour les malades et leur familles contraints de passer des nombreuses semaines sur le continent.

« Nous avons fêté cette année nos 10 ans, et cette étape a été l’occasion de prendre du recul et de regarder dans le rétro. (…) Au total, nous avons pu redistribuer plus de 700 000 €, et avons pu accompagner plus de 3 000 familles ! »

Laëtitia Descoin-Cucchi

Quel regard portez-vous depuis la création de la structure en 2009 ?

Mon regard est forcément bienveillant, reconnaissant et très positif. Je suis aussi stupéfaite de voir à quel point les choses ont évoluées d’une manière insoupçonnable au départ. Nous avons fêté cette année nos 10 ans, et cette étape a été l’occasion de prendre du recul et de regarder dans le rétro. Quelle joie de mesurer la chaine de solidarité qui a pu être créée avec nos partenaires intentionnels, privés et associatifs, le travail accompli par nos salariés et par tous les bénévoles d’A Squadra INSEME ! Au total nous avons pu redistribuer plus de 700 000 €, et avons pu accompagner plus de 3 000 familles ! Et quelle satisfaction d’avoir obtenu la prise en charge du 2nd accompagner d’une enfant malade, et d’avoir pu acheter 3 appartements !

Je suis sincèrement heureuse de tout cela car si les épreuves et la maladie ont pu prendre le dessus dans certaines de nos vies personnelles, nous sommes arrivés collectivement à dépasser nos souffrances et nos deuils pour transformer tout cela en quelque chose de positif et pour soulager les autres. C’est la plus belle des victoires !

Quels sont vos objectifs futurs pour l’association ?

Notre volonté est de continuer le plus longtemps possible ce combat aux côtés des malades. Pour cela, notre priorité sera de sécuriser tout le travail mis en place et de conforter, voire accroître, les financements qui sont indispensables à nos missions. Nous continuerons, bien sûr, de nous mobiliser dans les années qui viennent pour faire évoluer les règles de prise en charge qui sont inadaptées à notre spécificité sanitaire et pour permettre aux familles d’accéder à des hébergements sur le continent.

Laurent Di Fraja

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