Le Commentaire

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Les soignants corses en première ligne face au Covid-19

La population corse s’est rendue solidaire dès le début de la crise du Covid-19. Parallèlement, les membres du personnel soignant n’ont pas ménagé leurs efforts afin d’affronter cette crise. En juin, nous avons recueilli les témoignages de ces femmes et hommes qui luttent toujours ardemment pour endiguer l’épidémie qui continue de sévir en cette fin d’été.

Aurélia Giovannai – Infirmière à hôpital d’Ajaccio 

« Depuis l’apparition de l’épidémie, l’ambiance est pesante. Même si la solidarité et l’entraide sont toujours présentes, on a eu et on a toujours peur du Covid. Nous sommes en première ligne face à ce virus et nous faisons du mieux que nous pouvons pour protéger les patients ainsi que nous-mêmes, mais on ne sait pas si cela suffira. 

Pour ce qui est de l’organisation, un patient positif au Covid nous prend une heure minimum et notre équipement de travail est conséquent (confection d’une sur-blouse en sacs poubelles découpés, lunettes, charlotte, masque FFP2, double paire de gants). On est brûlés par les frottements incessants du gel hydroalcoolique sur nos mains.

« On ne s’attendait pas à recevoir autant de soutien de la population alors que nous n’effectuons que notre travail, je ne les remercierai jamais assez. »

Aurelia Giovannai, infirmière à hôpital d’Ajaccio 

On ne s’attendait pas à recevoir autant de soutien de la population (livraison quotidienne de gâteaux et de plats faits maison, de fleurs, envoi de dessins, applaudissements tous les soirs) alors que nous n’effectuons que notre travail, je ne les remercierai jamais assez. Chaque fois que je regarde les dessins que les enfants nous ont faits, cela me met du baume au cœur et me remplit d’émotion.

Il faut impérativement que les gens qui jettent leurs masques par terre comprennent que c’est nocif pour tout le monde. J’aimerai aussi que la population prenne conscience de l’importance des gestes barrières, à savoir un lavage régulier des mains, le port du masque et le respect de la distance d’au moins un mètre entre chaque personne. À l’apparition du moindre symptôme (fièvre, perte du goût et de l’odorat, toux) il faut consulter un médecin afin de demander une ordonnance pour réaliser un test PCR. »

Camille Sciarli – Membre SOS Médecin Ajaccio

« La crise sanitaire a commencé bien avant le confinement. La période critique a été entre fin février et début mars. Des patients se présentaient avec des syndromes grippaux, mais avec une atteinte respiratoire plus marquée que pour la grippe. À partir de février-mars, aux patients habituels se sont ajoutés ceux atteints du Covid.

Au niveau de l‘organisation, tous les membres de SOS Médecins (six médecins à temps plein) ont été pleinement disponibles. Nous nous sommes réunis fréquemment pour travailler ensemble et faire preuve de souplesse vis-à-vis des patients (multiplication des visites à domicile comme au cabinet).

« Cette première vague a été pour nous une période de grande remise en question et de remaniement. Nous avons adapté nos méthodes de travail au jour le jour du fait de la grande diversité des symptômes de ce virus, il était très difficile de l’identifier. »

Camille Sciarli – Membre SOS Médecin à Ajaccio

Depuis le début de l’épidémie et après le déconfinement, les gens réfléchissaient avant d’appeler ou de se déplacer, ils étaient soucieux de respecter les gestes barrières, les mesures de distanciation physique. Certains apportaient du matériel (gel hydroalcoolique, masques) à des personnes qui ne pouvaient pas se déplacer pour en acheter. Nous faisions la distribution lors de nos consultations.

Cette première vague a été pour nous une période de grande remise en question et de remaniement. Nous n’avons pas pu nous projeter sur l’évolution de l’épidémie car c’est un virus nouveau. Nous avons adapté nos méthodes de travail au jour le jour du fait de la grande diversité des symptômes de ce virus, il était très difficile de l’identifier. Notre souci premier étant de protéger les patients, de ne pas les exposer à des risques sanitaires, il a fallu trouver nous-mêmes les équipements médicaux afin d’exercer dans les meilleures conditions, ce qui n’était pas facile.

Avec l’arrivée de l’automne et de l’hiver, l’hypothèse d’une seconde vague est très crédible. Dans tous les cas, nous serons mieux préparés, nous avons pu faire du stock et les médecins sont mieux équipés. Nous disposons maintenant de tests PCR (nasal) et de tests sérologiques (test par prise de sang). La recherche de vaccin évolue, notamment sur la possibilité d’immunité du Covid : ‘’Est-ce que notre système immunitaire garde trace du virus une fois que l’on a été contaminé ? Les anticorps seront-ils efficaces en cas d’une nouvelle exposition au virus ?’’ Si oui, cela ouvre la possibilité et la voix d’une possible vaccination. Cependant, on ne sait pas encore quand un vaccin sera disponible.

Si j’ai un message à faire passer, c’est celui de la prudence. Du fait de respecter évidemment les gestes et mesures barrières pour l’ensemble de la population, personne fragile ou non. »

Jean-Pascal Armani – Brancardier au bloc opératoire de l’hôpital d’Ajaccio

« La crise sanitaire a explosé juste après l’annonce du confinement, le Plan Blanc a été déclenché rapidement. Une vague de personne est arrivée à l’hôpital avec plusieurs symptômes et certains dans des états plus critiques que d’autres. Le premier assaut fut pour le service de réanimation qui a été débordé par le nombre de patients qui ont dû être mis en intubation. Les membres du service ont très vite déploré le manque d’équipement au sein de l’hôpital : trop de patients pour pas assez de lits et de dispositifs d’intubation. Au final, tous les services se sont réorganisés pour accueillir les patients Covid.

On a vécu cette épidémie de manière particulière, on avançait dans l’inconnu et on suivait les règles qu’on nous communiquait sans avoir plus d’informations. Petit à petit, on s’inquiétait du manque de place et de matériel, mais également du fait que l’on est impuissant face à tout ça. Cela a été physiquement éprouvant. Avec l’équipement que nous avions, on avait très chaud, et il y avait ces gestes répétitifs d’habillage et de déshabillage où il faillait être prudent pour ne pas s’infecter.

« On voit des patients entre la vie et la mort, on pense en même temps à leur famille, certains ont perdu des proches… Psychologiquement, c’était prenant. »

Jean-Pascal Armani – Brancardier au bloc opératoire de l’hôpital d’Ajaccio

Puis vient le côté psychologique où on voit des patients entre la vie et la mort, on pense en même temps à leur famille, certains ont perdu des proches… Psychologiquement, c’était prenant. Ça nous ont beaucoup touchés de voir tous ces gens qui n’ont pas réussi à vaincre ce virus. On a fait notre travail au maximum, on était soudés et cela nous a permis de tenir dans notre travail quotidien. De plus, une partie des infirmiers libéraux sont venus pour nous prêter main forte ainsi que des infirmiers qui étaient en début de retraite. Tous les services étaient solidaires, nos liens se sont resserrés. »

Alizée Hamon – Infirmière en salle de surveillance post-interventionnelle à l’hôpital d’Ajaccio

« Lorsque ce virus a fait son apparition en France, de nombreuses mesures ont été mises en place. Nous avions des réunions quotidiennes d’information pour réfléchir à l’organisation du service et aux moyens à déployer pour pouvoir prendre en soin les patients de façon optimale. Nous avons donc, en équipe, transformé et réorganisé la salle de réveil. Dans un premier temps, nous avons accueilli des patients d’unité de soins continus «non-Covid», qui nécessitaient une surveillance rapprochée. Rapidement, avec la croissance exponentielle des cas positifs en Corse, nous avons accueilli en réanimation des patients atteints du coronavirus, certains étaient dans un état très instable voire critique. Nous nous sommes donc transformés en service de réanimation, composé de l’équipe d’anesthésie, celle du bloc opératoire et des agents d’entretien. C’est donc grâce à un énorme travail d’équipe que nous avons pu accueillir rapidement les premiers patients Covid.

Cette période a été difficile pour tout le monde, pourtant, je pense que chaque personne a vécu cette crise différemment. Pour ma part, si je devais décliner deux craintes ce seraient l’inconnu de la maladie et les décès des patients. En effet, nous avons dû à la fois changer notre organisation, mais aussi nos habitudes de travail. Les patients étaient intubés (ventilation mécanique) pour une durée souvent très longue. On observait parfois une amélioration, ou bien au contraire une détérioration de l’état de santé. Bien heureusement, un grand nombre se sont rétablis.

 « Nous serions préparés à l’arrivée d’une deuxième vague, mais ce serait difficile de revivre tout ça. Nous avons régulièrement des nouvelles de patients qui se sont rétablis et notre plus grande satisfaction est de savoir qu’ils vont bien. »

Alizée Hamon, infirmière en salle de surveillance post-interventionnelle à l’hôpital d’Ajaccio

Toutefois, c’était difficile pour moi de voir des personnes décéder dans ces circonstances inhabituelles et souvent sans accompagnement de la famille. Mes pensées étaient centrées sur la souffrance des proches n’ayant pu effectuer de véritables adieux, avec de surcroît des restrictions pour les funérailles.

Aujourd’hui, nous avons donc repris une activité chirurgicale, avec l’espoir qu’une deuxième vague n’apparaisse pas. Nous serions préparés à l’arrivée d’une deuxième vague, mais ce serait difficile de revivre tout ça. Nous avons régulièrement des nouvelles de patients qui se sont rétablis et notre plus grande satisfaction est de savoir qu’ils vont bien.

Si je devais faire passer un message, je dirais simplement que je remercie toutes les personnes qui nous ont soutenus. Un grand merci à mes collègues, avec qui j’ai pu créer des liens encore plus forts. Également au Tonnerre, bateau qui nous a permis de transférer 12 patients à Marseille pour éviter une saturation des lits. Bravo à tous les corps de métiers et une pensée pour ceux qui ont connu une période très sombre à cause de ce confinement. Un dernier remerciement pour les commerçants qui ont continué à travailler en faisant de multiples donations à l’hôpital. »

Sophie Colonna De Cinarca – Pharmacienne 

« L’arrivée du virus à Ajaccio a créé un effet de surprise. Les premiers cas revenus d’un rassemblement évangélique à Mulhouse ont été le point de départ. Pour les pharmacies de ville, nous avons continué à pratiquer notre activité, équipés de masques. Au début de l’épidémie, le temps d’équiper l’intérieur de l’officine, les gens patientaient à l’extérieur de la pharmacie. Nous faisions la navette des comptoirs à la porte, ne connaissant pas les cas susceptibles d’être porteurs du Covid. Cela a duré un bon mois. Rapidement, nous avons installé une vitre en plexiglas, toujours en travaillant avec gants, masques et blouse. Le matériel est désinfecté toutes les heures et les produits pharmaceutiques sont sous un film plastique. Le maître-mot était « s’adapter ».

« Le plus choquant était l’attitude apeurée des gens, l’impact psychologique de cette situation est conséquent. »

Sophie Colonna De Cinarca – Pharmacienne 

Un service de livraison à domicile, parfaitement organisé par la CAPA et grâce à de nombreux bénévoles, nous a permis d’honorer les traitements pour les patients dans l’impossibilité de sortir. Aussi, l’État nous fournissait régulièrement une dotation de masques destinés aux professionnels de santé en premier lieu puis aux patients à risques, que nous étions en charge de distribuer. 

Le plus choquant était l’attitude apeurée des gens, l’impact psychologique de cette situation est conséquent. Notre rôle de professionnel de santé était d’informer, mais surtout de rassurer ces patients plutôt terrorisés. Nous pouvons souligner que les gens ont conscience du respect des règles barrières, qui sont largement suffisantes pour quelconques maladies, et nous les invitons à poursuivre cet effort. « 

Tea Pietri – Infirmière au service d’urgences à l’hôpital d’Ajaccio

« Les premiers jours de la crise ont été très compliqués. Le travail en lui-même n’a pas changé, car nous sommes formés. En revanche, nous avons dû réorganiser un hôpital entier en quelques jours, changer toutes nos habitudes, créer de nouveaux circuits afin que les patients Covid ne se mélangent pas avec les non-Covid. Ce qui a été, au passage, rude dans la mesure où nous n’avions que peu de recul sur cette maladie. Cela nous semblait infaisable, mais nous avons réussi et je tiens à saluer toutes les équipes pour cela. 

Nous avons réussi à maintenir une bonne ambiance au sein de l’équipe. Nous nous sommes motivés très vite et avons travaillé sans compter nos heures et en revenant sur nos jours de repos. Ce métier est une passion pour nous tous et nous n’avions qu’un seul souhait : donner tout notre possible pour faire face à cette crise et aider nos patients. 

« Lors d’une journée difficile, se poser dans notre salle de repos et voir tous ces dessins ou simplement manger un morceau de gâteau fait par un inconnu nous mettait du baume au cœur et nous redonnait de l’énergie.« 

Téa Pietri, infirmière au service d’urgences à l’hôpital d’Ajaccio

Je tiens aussi à souligner la solidarité inter-hospitalière qui s’est manifestée. Les réseaux en ville, les médecins traitants, les EHPAD… Tous ont répondu présent. Nous avons aussi été soutenus par la population, avec énormément d’attention : nourritures, dessins, matériels… Lors d’une journée difficile, se poser dans notre salle de repos et voir tous ces dessins ou simplement manger un morceau de gâteau fait par un inconnu nous mettait du baume au cœur et nous redonnait de l’énergie. Tout cela est très émouvant et cela nous a apporté beaucoup de réconfort. Sans ces soutiens, rien aurait été pareil. »

Alexandre Langlade – Brancardier au service radiologie à l’hôpital d’Ajaccio

« Au début de l’épidémie, le standard a explosé, les gens appelaient pour avoir des réponses : « Est-ce que le virus est dangereux ? Qu-est-ce qui change par rapport aux examens qu’on doit passer ? ». Dès l’arrivée des premiers patients et au déclenchement du Plan Blanc, on a dû s’organiser autrement. Lors du Plan Blanc, l’hôpital est fermé au public. On n’acceptait plus personne à l’hôpital, sauf les patients qui avaient un besoin urgent de soins.

On s’est énormément occupé des patients positifs au Covid, on les transportait en chambre avec tout l’équipement nécessaire et on les accompagnait au scanner. Les plannings et emplois du temps n’ont pas changé dans notre service, mis à part que, durant le Plan Blanc, un brancardier se devait de rester la nuit (ce qui fut le cas pour les brancardiers du service du bloc opératoire). On a eu cependant un renfort de la part des élèves infirmiers du service de radiologie qui se chargeaient de faire les coursiers (ils récupéraient les bilans sanguins pour les descendre au laboratoire). Selon moi, nous serions prêts à affronter une deuxième vague. Il y a pu y avoir des erreurs de faites au début à cause manque d’information, mais on sait maintenant comment mieux gérer l’afflux.

« Au sein des hôpitaux, il n’y a pas que le Covid. En parallèle, il faut soigner les autres maladies : un patient peut avoir une pathologie qu’il peut transmettre à un autre patient ou soignant. »

Alexandre Langlade, brancardier au service radiologie à l’hôpital d’Ajaccio

En revanche, je ne sais pas s’il en sera de même au niveau des équipements. Prenons l’exemple d’un patient que l’on récupère en chambre pour l’accompagner au scanner puis le remonter. Il nous faut une tenue jetable (haut et bas) ce qui inclus surblouse blanche, deux paires de gants, une charlotte, des lunettes de protection et un masque FFP2. Tout cela juste pour un seul patient. Pour chacun d’entre eux, on enlève et on remet le tout. On utilise énormément de matériel.

Le matin, nous nous occupions des patients non-Covid, ceux qui nécessitaient un examen d’urgence ou vital. En fin de matinée, les services Covid nous appelaient, car il fallait commencer à effectuer des examens. On a eu du mal à trouver un créneau pour manger. Le port de tenue était pénible, il faisait très chaud. Il y avait également la peur d’être contaminé, sachant qu’un transfert de patient mettait environ une demi-heure alors qu’en temps normal cela nous prend dix minutes.

Je pense que le port du masque et des gants va devenir obligatoire, voire systématique dans la tête des gens à l’hôpital. C’est malheureux qu’il ait fallu en arriver là pour se rendre compte que c’est une sécurité sachant qu’au sein des hôpitaux, il n’y a pas que le Covid. En parallèle, il faut s’occuper des autres maladies, un patient peut avoir une pathologie qu’il peut transmettre à un autre patient ou soignant. »

Lisa-Marie Rossi, Laurent Di Fraja

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