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Ghost song

Rien que pour vous, j'ai remis la main sur ce petit texte écrit en 2013. 3e opus de mon feuilleton sur l'Absurde !

Il fait froid. Super froid, même. C’est vraiment obligé, ce détour ? Sérieux, on se caille … Quoi ? Ben oui, évidemment toi ça t’est égal … Mais moi ! Quoi, de quoi je me plains ? Hein ? On est en janvier, tu crois quoi ? Sans blague … 

Bon, je fais quoi, maintenant ? C’est bien joli, tout ça, mais je sais toujours pas où on va … Gloomy Detroit … J’aime pas trop ce quartier … Je sais que t’as grandi ici, mais … y a quelque-chose ici qui me met – comment dire ? – mal-à-l’aise. Je sais pas si c’est les couleurs des devantures ou le design des réverbères, mais je le sens pas bien. Ce quartier donne des envies de dépression. Tu dis rien ? T’en penses, quoi, toi ? Et puis la nuit c’est encore pire. Parce-que c’est pas une vraie nuit, tu vois ? Je veux dire … C’est une nuit « artificielle ». Il fait jamais vraiment noir, ici. La nuit est jaunâtre et puis on voit pas les étoiles. Si on lève la tête, on voit juste les ampoules des réverbères. Et aussi, les néons qui grésillent sur les devantures en taule des restos et des magasins de bricolage. T’es pas d’accord avec moi ? Artificielle. La nuit est artificielle … Au lieu d’étoiles on a des néons, on se sent comme étriqué entre le trottoir de béton maculé et la lueur de projecteur des réverbères. Il y a de l’espace, ici, et pourtant on a l’impression d’être coincé. Enfin quoi, regarde ces rues. C’est même pas des rues, c’est des autoroutes … Remarque, ça fait un ensemble …

Bon, ça va maintenant … Assez marché. Hey, on peut pas s’assoir, ici ? Où sont les bancs ? Ah oui, c’est vrai … on met pas de bancs en bord d’autoroute. Comment ça, « de mauvaise humeur » ? Non, non j’ai pas fini de râler ! Enfin comprend-moi, aussi ! Je viens du Sud de l’Angleterre, moi ! On a pas l’habitude de ces grandes avenues qui ressemblent à des autoroutes !

Ok, bon, je me cale contre ce réverbère, là … Mes clopes. Mon briquet … Où il est ? Ah, voilà. 

Hey ! Qu’est-ce que tu fais ? Sérieux, t’es lourd, là … Tu aurais pu me laisser le temps de me réchauffer, au moins. Ben oui, je sais que t’aurais pas pu sortir. Oui, ben justement !

La vapeur qu’il expirait, peu à peu, s’agglomérait en une forme mouvante, grossissait. Au lieu d’éparpiller ses molécules dans l’atmosphère, elle formait un nuage compact qui se solidifiait rapidement. Et, en quelques minutes, un petit bonhomme se tenait là. Il n’avait que vaguement la forme d’un bonhomme. En fait, il était plutôt rondouillard, avec de petits bras potelés terminés par deux mains comme des moufles, des jambes dodues avec de petits pieds qui ressemblaient à des chaussons de lutin, et sa tête avait un peu la forme d’un chapeau pointu en fin de vie. Il agita ses petons, bailla et s’étira largement. 

« Aaaah ! Il était temps ! Shake dreams from your hair, my pretty child, my sweet one, comme disait l’autre ! Je commençais à me sentir à l’étroit. Tu sais que ton esprit n’es pas très vaste ? »

« C’est ça. »

« Et puis tu peux pas savoir ce que c’est lassant parfois de voir les choses à travers tes yeux … Non, vraiment. Un grand bol d’air frais, voilà ce qu’il me fallait. »

« Ben si t’es pas content de la baraque, tu peux partir, tu sais. Vraiment, je t’en voudrais pas. Va hanter quelqu’un d’autre, tu as ma bénédiction. »

Le bonhomme éclata d’un petit rire.

« Non, j’aime trop ton cynisme ! »

Il examina rapidement les alentours, l’air satisfait.

« On approche ! »

« De quoi ? »

« On le saura quand on arrivera ! Allez viens, il est temps de reprendre la route ! »

Jim soupira, écrasa son mégot sous sa chaussure et enfonça ses mains dans les poches de son bomber. Il manqua s’étouffer lorsque le bonhomme reprit sa place.

« We’re on a road to nowhere
Come on inside
Takin’ that ride to nowhere
We’ll take that ride »

Entendit-il résonner dans sa tête.

« Ton optimisme m’épuise, Pierrot. »

Unsolicited Opinion

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