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La politique expliquée par les littéraires : le dilemme du tramway et les élections présidentielles

Le dilemme du tramway : explications et implications

Le dilemme du tramway (ou trolley problem) est une expérience de pensée théorisée pour la 1ère fois en 1967 par Philippa Foot.

Qu'une expérience de pensée ? Une expérience de pensée est une expérience complètement imaginaire, qui sert à réfléchir à des problèmes philosophiques qui ne peuvent pas arriver (ou ont peu de chances d'arriver) dans la réalité, ou dont la réalisation n'est pas souhaitable. L'intérêt de ces expériences est qu'elles peuvent farfelues mais toutefois servir de modèle, d'après leurs résultats, à des expériences réelles ou aider à comprendre une situation réelle. Le dilemme du tramway par exemple a été posé à un panel dont les réponses ont été étudiées et a servi à des expériences réelles sur une voiture autonome.

Dans notre problème du tramway, la situation est la suivante : vous êtes le conducteur d’un tramway lancé à vive allure et impossible à freiner. Sur la voie, 5 hommes font des travaux. Vous ne pouvez pas freiner, vous allez donc fatalement les écraser. Mais vous pouvez tirer sur un levier qui va faire dévier le tramway sur une autre voie. Sur cette voie, 1 homme. Il s’agit pour vous de décider ce que vous allez faire : ne rien faire et écraser 5 hommes ou tirer le levier et en écraser 1. Il existe des variantes, avec une poussette et un bébé, un homme obèse qui tombe d’un pont, des personnes âgées, etc.

Source : http://www.cienciacognitiva.org/files/2015-17-f2.jpg

La morale utilitariste voudrait que l’on fasse dévier le tramway pour choisir d’écraser seulement un seul homme plutôt que cinq (c’est l’idée du moindre mal), et sauver le plus grand nombre.

Même si le 1er choix paraît le meilleur dans cette situation délicate, un problème se pose : en actionnant le levier, on ne tue qu’un seul homme au lieu de cinq, mais on agit, on prend un décision, on est responsable de cette mort. Alors qu’en choisissant de ne pas actionner le levier, on écrase cinq hommes, mais on est que partiellement responsable, car on n’a pas agi. Encore que dans ce cas se pose la question de l’action et de l’inaction : ne pas agir, est-ce une action ? Ne pas agir, cela implique-t-il tout de même une responsabilité dans ce qui découle de cette non-action ? En droit, on peut être reconnu coupable de non action, par exemple si l’on ne dénonce pas un meurtrier ou qu’on n’intervient pas pour éviter une agression, on peut être tenu complice pour avoir tenu secrètes des informations importantes ou jugé pour non assistance à personne en danger.

Dans les deux cas de notre dilemme de base, le conducteur peut être tenu, ou se considérer, partiellement au moins responsable de la mort d’un ou plusieurs individus. Un poids qui me rappelle le principe de l’action bloquée de Corneille, ou si vous préférez le fameux « choix cornélien », qui désigne un dilemme avec deux options possibles mais qui aura, quelle que soit l’option choisie, des conséquences négatives voire tragiques, et qui met le personnage dans un été de conflit intérieur difficile ou impossible à résoudre (généralement ce sont les sentiments qui s’opposent à la raison ou au devoir). Dans le cas du Cid, par exemple, le personnage principal est tiraillé entre son devoir (venger la mort de son père) et son amour pour sa fiancée (dont le père est le meurtrier du père du héros).

L’actualité : le 2nd tour de la présidentielle

Moi, pour ce second tour de la présidentielle, j’avais quand-même un petit espoir. Mais non. Aussi bien la « campagne » des candidats (hum hum) que l’issue des votes m’ont donné l’impression de regarder un accident de voiture au ralenti, sans pouvoir rien faire.

Et je me retrouve, comme beaucoup, confrontée à un choix :

A) Voter pour Emmanuel Macron pour donner moins de chances à Marine Le Pen

B) Ne pas voter, ou voter blanc, pour ne donner ma voix ni à Le Pen ni à Macron

Mais me voilà donc face à un dilemme :

Si je vote pour Macron, même si ce n’est pas de gaité de coeur et que je le fais contre Le Pen, s’il gagne, je me rends partiellement responsable de sa politique que je n’approuve pas. Pire : je me vais contre ma nature et mes idées, et je me trahis moi-même.

Si je ne vote pas ou que je vote blanc, certes je n’agis pas, mais ne serai-je pas tout de même responsable en partie de l’issue de ce second tour ? Ma non-action ne peut être une non-responsabilité. A moins que je mette de côté à la fois ma tendance personnelle à me sentir responsable de tout (hihi) et la philosophie dans laquelle je baigne du fait de mon appartenance culturelle, pour soit me détacher complètement des vicissitudes de ce monde, comme les stoïciens, ou adopter un point de vue fataliste (c’est comme ça), cynique (laissons les cons décider), voire tragique (pourquoi le Ciel nous inflige-t-il celaaaaa ? La démocratie est-elle donc si limitéeeeee ?) sur la situation.

Une possible solution : l’inaction active

La semaine passée, des centaines d’étudiants ont manifesté à Paris, notamment devant la Sorbonne, en scandant « Ni Macron, ni Le Pen »*, annonçant refuser de voter par dépit et arguant la nécessité de se faire entendre autrement que par les urnes. Une position qualifiée par certains d’irresponsable face à la montée de l’extrême droite, mais qui fait sens moralement et qui apporte une solution à notre dilemme, le refus du choix devenant action par la protestation.

Une autre solution serait, comme certains le proposaient pour régler le dilemme du tramway, de considérer qu’aucun choix n’est bon ou mauvais et que la solution est de tenter d’améliorer la situation pour éviter qu’elle se reproduise, par exemple en améliorant les freins du tramway. Dans notre situation actuelle, une solution serait de prendre en compte les votes blancs, qui montrent que sans se désintéresser de l’élection, certains refusent les choix proposés, et l’abstention.

* https://www.reuters.com/article/france-election-etudiants-idFRKCN2M61OS

Unsolicited Opinion

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