The Spirits of the Pumpkins Descended into the Heavens (2017), National Gallery of Australia, Canberra, Australia (source : Wikipedia)

La répétition dans l’Art

Les artistes sont parfois obsessionnels … Colette avait l’habitude d’écrire sur du papier bleu, Friedrich von Schiller gardait des pommes en décomposition dans les tiroirs de son bureau, Truman Capote n’écrivait que couché, Erik Satie (dit-on) ne mangeait que des aliments blancs … et ces obsessions se retrouvent parfois dans leur Oeuvre !

Yayoi Kusama photographiée par Alex Majoli (Magnum Photos) à la biennale d’art contemporain de Venise en 1993. Source : Time)

Mais avant de parler d’obsession, modérons nos propos et parlons d’abord de répétition …

La répétition dans l’Art

Dans l’Art, la répétition est d’abord l’apparition chez un.e artiste d’un même thème ou sujet, ou d’un même élément dans plusieurs oeuvres différentes.

La répétition, pour les artistes, est un entraînement. On dit bien « C’est en forgeant qu’on devient forgeron », non ? Eh bien dans l’Art, c’est pareil ! Pendant des siècles, les jeunes peintres copient les oeuvres des classiques pour maîtriser la technique, et dans les ateliers, ils commencent souvent par peindre des détails des tableaux signés par leur maître, comme des fleurs par exemple. Ensuite, peindre une même chose plusieurs fois permet de mieux la maîtriser. Parfois aussi, les artistes n’ont pas les moyens de se payer des modèles, alors ils font avec ce qu’ils ont sous la main : Van Gogh par exemple, peint des autoportraits, et Matisse, quand il ne peut pas peindre en extérieur, prend pour cible des vases ou son bocal de poissons rouges, qui sont à portée de son pinceau.

Certains peintres ont aussi des obsessions de sujets et d’éléments, qu’ils choisissent donc de peindre continuellement. Par exemple, Claude Monet avec son jardin et ses nymphéas, Paul Cézanne avec la Sainte-Victoire, Marc Chagall avec les chèvres (notamment), Alexei von Jawlensky avec les visages (qu’il a peints en série de manière de plus en plus abstraite, car comme de nombreux artistes tels que Piet Mondrian ou Pablo Picasso, il est allé vers l’abstraction petit à petit, notamment par la répétition), ou encore Yayoi Kusama avec les pois, Louise Bourgeois avec les araignées, Claude Viallat avec son motif « haricot » (une de ses oeuvres est d’ailleurs intitulée « Répétition »), Daniel Buren avec les rayures … Les artistes donnent d’ailleurs parfois à leurs oeuvres en série des numéros (par exemple « Tauromachie XIII » pour Buren). Dans ce cas, l’acharnement sur un sujet ou un élément permet souvent à l’artiste de faire passer un message (les artistes du mouvement Pop Art notamment) ou d’innover en proposant une interprétation nouvelle d’un thème (par exemple, Mondrian qui peint des arbres jusqu’à l’abstraction).

Les autoportraits de Vincent Van Gogh

Parfois aussi, les artistes ont l’obsession d’une couleur, comme Yves Klein et son bleu du même nom, ou Anish Kapoor et son « noir le plus noir » dont il a acheté les droits.

La répétition peut aussi consister à utiliser à chaque fois, ou durant une certaine période, le même médium, pour des artistes qui cherchent à le maîtriser parfaitement ou dont cela sert le propos. Par exemple, des techniques et médiums comme la broderie, le tissage ou le fil, nourrissent l’Oeuvre de nombreuses artistes féminines (et féministes) telles que Maria Laï, Ghada Amer ou Lygia Pape …

La répétition au sein même d’une oeuvre est aussi possible. Avec l’art vidéo par exemple, on peut faire tourner en boucle une image (ex : Douglas Gordon avec son oeuvre « Play Dead; Real Time » en 2003). Certains artistes mettent aussi la répétition d’un geste au coeur de leur performance, mettant le pied sur la ligne qui sépare l’Art de l’anthropologie.

Bref, la répétition permet de se démarquer, et souvent d’innover.

Un autre exemple de l’usage de la répétition dans l’Art : The Fall, formation musicale, qui utilise la répétition pour revenir aux sources (rockabilly), moquer l’érudition et la complexité des groupes de rock progressifs, et créer un état de transe

La reproduction et la reproductibilité des oeuvres

Au XXe siècle (et déjà au XIXe avec des peintres comme Odilon Redon qui reproduisent des oeuvres en série pour illustrer des livres, voir mon article sur Odilon Redon), avec les progrès technologiques, l’art devient reproductible à l’identique. Des artistes comme Andy Warhol, pour ne citer que le plus connu, se servent de la sérigraphie pour reproduire une oeuvre originale et servir un propos (par exemple, destituer l’oeuvre d’art de son caractère sacré, la rendre accessible au grand public …).

Source : https://giphy.com/gifs/fight-club-work-edward-norton-YAy9NNu16pYYg

Un pas plus loin pour les artistes : le « reenacment », ou le fait de recréer une performance passée, comme l’a fait Marina Abramovic avec « Seven easy pieces » en 2005, une série dans laquelle l’artiste recréée des performances d’autres artistes des années 60/70. Assez polarisant dans le milieu, ce genre d’actes va pourtant dans le sens de la pensée que développe dans les années 1960 le théoricien Jacques Derrida, pour qui la reproduction est l’essence même de l’Art.

Un point de vue partagé par Walter Benjamin, pour qui l’oeuvre d’Art possède par essence quelque-chose de reproductible, rendu possible par les récents progrès technologiques (voir Walter Benjamin dans « L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique »). Certains crient au scandale, mais Benjamin, comme de nombreux artistes du XXe siècle, voient dans la possibilité de reproduire des oeuvres quasiment à l’infini et en série l’occasion de faire sauter les barreaux de l’Art classique, en le désacralisant et en le rendant accessible à un large public. Ce n’est pas Marcel Duchamp qui dirait le contraire, qui n’hésite pas d’ailleurs à jouer sur la reproduction en citant ses propres oeuvres dans ses nouvelles créations, créant là une forme originale de série. Un point de vue approuvé par André Malraux !

La soupe Campbell d’Andy Warhol. Source : https://giphy.com/gifs/g1ft3d-art-artists-on-tumblr-vintage-6WnpLFbedqvsY

Aujourd’hui, la technologie a fait un tel bond que la question de la reproduction d’une oeuvre en série à mettre au-dessus de son lit ou d’un zoom sur les différentes parties d’un tableau insérées dans un livre d’Histoire de l’Art sont presque accessoires, quand il est possible de visiter depuis chez soi une exposition virtuelle des oeuvres de Klimt imaginée par Google, ou d’observer la sortie de terre de ruines antiques à l’aide de lunettes de réalité virtuelle !

Unsolicited Opinion

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