Le Commentaire

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Le soulèvement des mondes

Depuis quelques mois, une dizaine de peuples manifestent dans le monde entier pour faire entendre leur révolte. De Hong-Kong au Chili en passant par le Liban, la Bolivie, l’Irak, ou l’Equateur, tous n’aspirent qu’à une chose : protester contre leur système respectif dans un contexte de crise de la démocratie représentative. Jamais la contestation n’avait été aussi forte dans plusieurs endroits du globe en même temps.

Hong-Kong

Tout a commencé en juin dernier lorsqu’un million de hongkongais descendent dans la rue pour protester contre le projet de loi porté par la cheffe du gouvernement, Carrie Lam, visant à autoriser, de nouveau, les extraditions de prisonniers vers la Chine. Les manifestants craignant alors que la Chine n’interfère dans les affaires du territoire afin d’asseoir son autorité et de le contrôler totalement.

Malgré la déclaration de la cheffe du gouvernement d’annuler ce projet de loi, les tensions n’ont fait que croître dans le territoire, intensifiées par les violents affrontements entre manifestants et forces de l’ordre Hongkongaises. Les opposants au gouvernement militent notamment pour une condamnation et une reconnaissance de la violence excessive par la police de Hong Kong, pour la libération des détenus (étudiants et émeutiers), pour le retour au suffrage universel et également pour la démission de Carrie Lam à la tête du territoire.

Manifestation record à Hong Kong - Le Courrier
Manifestation à Hong Kong / KEYSTONE

Pour rappel, Hong-Kong fut une colonie britannique de 1842 (traité de Nankin) jusqu’en 1997. Rétrocédée par l’empire britannique à la Chine en 1997, un accord a été conclu pour que le territoire garde son autonomie actuelle pendant 50 ans, soit jusqu’en 2047. Hong-Kong est un territoire spécifique de la Chine au regard de son régime politique, la région obéit au principe « un pays, deux systèmes ». Cela lui permet de conserver notamment son système légal, sa monnaie ( le dollar de Hong Kong), et son système politique.

Nous établirons prochainement un point complet sur les manifestations à Hong-Kong dans un article spécial.

Chili

La mesure semble anodine mais ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Depuis mi-octobre, les Chiliens descendent dans la rue pour manifester contre la hausse du prix du ticket de métro. Le tarif augmente de 800 à 830 pesos (1,04 euro) aux heures de pointe, après une première augmentation de 20 pesos en janvier dernier.

Malgré la décision du président Sebastian Piñera de revenir sur cette décision, la colère se diffuse vers d’autres problèmes sociétaux. Comme le déclare Carlos Ruiz, sociologue, dans un article du Monde, « Cette explosion de colère sociale est avant tout liée à l’extrême privatisation de la vie quotidienne : la santé, l’éducation, les retraites, l’eau… Ici, le citoyen est de plus en plus considéré comme un consommateur. »

Une partie de la foule a escaladé une statue, tandis que les autres sont au sol.
La contestation au Chili. / GETTY IMAGES : CLAUDIO SANTANA

Le système de pensions de retraite est également pointé du doigt. C’est un système dit « par capitalisation », cela signifie que les travailleurs doivent accumuler un capital pour toucher une retraite lors de leur inactivité. Ces retraites sont très en deçà du salaire minimum qui est de 400€ environ. De plus, des secteurs clés comme l’éducation et la santé dépendent grandement du système privé.

Pourtant, le modèle économique fait partie des meilleurs d’Amérique latine : une inflation de 2% par an (moyenne mondiale en 2019 : 3,5%) , un taux de pauvreté de 8,6% (le plus bas d’Amérique avec l’Uruguay) et une croissance qui devrait atteindre cette année 2,5% du PIB, soit l’une des plus élevées d’Amérique latine. Ce système économique (ancré depuis la prise de pouvoir du dictateur Pinochet en 1973) a permis de redynamiser le pays mais cela a aussi abouti à une répartition très inégale des richesses. Selon les Nations unies, 1 % des Chiliens possèdent 26,5% du PIB national. Dans le classement de l’ONU de la répartition des richesses dans les pays le pays est 113e sur 128.

Les violences depuis le début des manifestations ont déjà fait 22 morts et plus de 2000 blessés. Une mission d’enquête de l’ONU a même été envoyée sur place suite à de très nombreuses plaintes d’actes de torture, de violences sexuelles et de tabassages de la part de la police envers les manifestants. Dimanche, le président Sebastian Piñera a condamné, pour la première fois, les violences commises par la police. En conséquence de ce contexte tendu, la COP 25 qui devait se tenir dans la capitale, Santiago, du 2 au 13 décembre, a finalement été délocalisée à Madrid (Espagne).

Liban

Là aussi, l’étincelle est partie de diverses mesures sociales. En cause notamment, des taxes sur l’essence, le tabac, mais également sur les appels WhatsApp, l’une des applications la plus utilisée dans le pays. Les inégalités économiques criantes sont pointées du doigt par les Libanais : Sept milliardaires possèdent 13,3 milliards de dollars, soit dix fois plus que la moitié de la population possédant un revenu modeste. De plus, les 1 % les plus riches du pays, possèdent 58 % de la richesse de l’ensemble de la population.

Le 21 octobre, des centaines de milliers de libanais manifestent partout dans le pays (Beyrouth, Tripoli, Sidon, Beddaoui) pour demander le départ de la classe politique, jugée corrompue et trop à l’écart de la vie de la population. Le 29 octobre, le Premier ministre, Saad Hariri annonce sa démission ainsi que celle de son gouvernement, mais les manifestants appellent également le départ du président Michel Aoun. Le 7 novembre, des dizaines de milliers de lycéens et d’étudiants militent pour que l’enseignement public soit réformé et amélioré. Les bureaux du Ministère des Télécommunications ou de la compagnie de téléphone publique Ogero sont bloqués.

Drapeau Libanais Stock Photos and Pictures | Getty Images
Manifestations à Beyrouth / GETTY IMAGES : CANOVAS ALVARO

Les banques du pays ont été fermées pendant une très grande partie de ce mois de contestation en raison d’une grève massive de leur personnel qui craignait pour leur sécurité. Malgré leur réouverture ce mardi, la Fédération des syndicats des employés de banques travaille avec la sécurité nationale pour permettre leur protection.

Les manifestations sont les plus importantes depuis celles organisées lors de la grande crise des déchets après la fermeture à la mi-juillet 2015 de la principale décharge qui accueillait jusqu’alors les déchets de Beyrouth.

Irak

Cela fait depuis 2003 que les Irakiens n’étaient pas descendus aussi nombreux dans la rue pour exprimer leur révolte. Réunis depuis le 1er octobre sur la grande Place Tahrir, les Irakiens réclament « la chute du régime », lassés de voir leur pays déchiré par la guerre (le pays a connu deux guerres civiles entre 2006 et 2017) , la corruption (classé 168e sur 180 pour la corruption en 2018 par Transparency International) et le chômage (40% des 15-24 ans en 2018 selon le FMI).

Car ce sont bien les jeunes qui se mobilisent massivement dans tout le pays pour tenter de se débarrasser du gouvernement qu’ils estiment « dépassé par les événements ». Les fonctionnaires, étudiants, enseignants et les professions libérales (avocats, médecins, ingénieurs) ont rejoint le mouvement, galvanisés par ce sentiment populaire. Preuve que toutes les composantes de la société irakienne sont impliquées.

Les manifestations se multiplient contre le premier ...
Ramadi, à l’ouest de Bagdad / AFP: AZHAR SHALLAL

Mais à chaque manifestation son lot de répressions, et celle-ci est particulièrement violente. Depuis le début du mouvement, près de 330 personnes ont été tuées et près de 20 000 blessées. Le Monde déclare que, dans un rapport officiel du 22 octobre rendu public, il est indiqué que «« 70 % » des morts ont été touchés à balles réelles « à la tête et au torse »». Les forces de l’ordre envoyées par le Premier ministre Adel Abdel-Mehdi afin de faire cesser les manifestations tirent avec des balles réelles mais également avec des grenades lacrymogènes.

Le mouvement ne désemplit pas en dépit du couvre-feu instauré par le gouvernement qui a également coupé internet pendant plusieurs jours. Sur la place Tahrir, les jeunes ont investi un immeuble abandonné de onze étages et ont également bloqué les routes principales menant aux bâtiments gouvernementaux ainsi qu’aux administrations.

Bolivie

L’élection présidentielle 2019 a été celle de trop pour Evo Morales. A la tête du pays depuis 2006, le président socialiste a été contraint de quitter le pays, se « sentant menacé » à la suite du résultat controversé de l’élection présidentielle d’octobre qui a abouti à sa réélection. Le 25 octobre, selon les résultats définitifs, Evo Morales est déclaré vainqueur au premier tour avec 47,08% des voix contre 36,51% pour Carlos Mesa (centre-droit). A l’annonce de ces résultats, des suspicions de fraude et d’irrégularités sont avérées, marquant le début de la contestation des anti-Morales. Ils réclament alors la démission du président ainsi que de toute son équipe gouvernementale.

Lâché par l’armée et par la police, Evo Morales n’a d’autre choix que de démissionner et de se réfugier au Mexique, dénonçant « le coup d’État le plus astucieux et le plus odieux de l’histoire. » L’absence de quorum (le nombre de députés minimum pour qu’une élection soit valable) au Parlement a amené la seconde vice-présidente du Sénat, Jeanine Añez, à s’autoproclamer présidente du pays par intérim le 12 novembre. Pour tenter de pacifier la situation, elle a appelé à l’organisation de nouvelles élections le plus rapidement possible.

Bolivie : après la démission du président Evo Morales, que se passe-t-il dans le pays ?
Manifestations dans le pays pour célébrer le départ de Morales / AIZAR RALDES AFP OR LICENSORS

Paradoxalement, le bilan de Morales à la présidence de la Bolivie de 2006 à 2019 est plutôt positif. Comme l’indiquent France Info et Le Figaro, les nombreuses nationalisations d’entreprises de pétrole et de gaz lui ont permis de financer de nombreux programmes sociaux, faisant baisser la pauvreté extrême de 36,7% en 2005 à 16,8% en 2015 selon l’ONU. La pauvreté modérée diminuant de 60 à 36%. D’après les données du FMI, le PIB (produit intérieur brut) du pays est passé de 9 à 38,5 milliards entre 2006 et 2019. L’appétit politique et l’appel d’un quatrième mandat auront accéléré sa chute.

Depuis, le pays est littéralement divisé entre pro et anti-Morales. Depuis l’annonce des résultats de la présidentielle, les deux camps se livrent à des affrontements sanglants sous les yeux des forces de l’ordre qui répriment tout aussi violemment la contestation. Depuis le début de la crise post-électorale, plus d’une trentaine de personnes ont été tuées.

Equateur

Au pouvoir depuis deux ans et demi, le président Lenin Moreno a vu le pays se soulever en un temps record. En cause : un accord entre le gouvernement et le FMI sur un plan d’austérité ayant pour but de redresser le pays. Cet accord prévoit, entre autres, une suppression des subventions des carburants d’un montant total de 1,3 milliard de dollars en échange de crédits d’un montant de 4,2 milliards de dollars du FMI. Pour arriver à cet accord, le président a tenté de réduire le salaire des agents contractuels, de diviser par deux le nombre de jours de congés payés des fonctionnaires tout en multipliant le prix du carburant à la pompe.

Ecuador: Reports of Excessive Response to Protest Violence ...
La révolte en Equateur / AP PHOTO : FERNANDO VERGARA

La Confédération des nationalités indigènes de l’Equateur (Conaie), soutenue par d’autres organisations, a donc appelé au blocage du pays et à des manifestations massives. En l’espace de onze jours, l’Equateur était littéralement paralysé, obligeant le gouvernement à instaurer un couvre-feu et à déplacer ses institutions de la capitale Quito à Guayaquil. Après de violentes répressions et une série d’émeutes, Lenin Moreno et le mouvement indigène ont finalement trouvé un accord le 13 octobre pour annuler le fameux décret prévoyant de supprimer les subventions aux carburants fossiles, mettant fin à la contestation.

Laurent Di Fraja

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