elle-promising-young-woman-1576088785

Promising young woman

Sorti en 2020, Promising young woman (Emerald Fennell) est-il le film féministe post me too qu’on attendait ? Premier volet de ma série critiques de films !

*contains spoilers*

Tout d’abord, le pitch : Cassie était une étudiante en médecine brillante, jusqu’à ce que sa meilleure amie Nina et elles décident de quitter brusquement la fac. Serveuse le jour, la nuit elle piège les « mecs biens » qui pensent profiter de sa état d’ébriété pour leur passer l’envie de violer … Tout déraille quand elle entend parler d’un ancien camarade de promo qui fait remonter à la surface la mort de Nina. Le film est porté par Carey Mulligan (Gatsby le Magnifique, Orgueil et Préjugés, Les Suffragettes, Loin de la foule déchaînée …), qui campe un personnage malicieux, rusé, manipulateur et vengeur. Sur fond de couleurs pastels et de musique pop, le film est fin, sombre tout en restant agréable à regarder, et assez engagé (ce qui n’est pas étonnant de la part d’Emerald Fennel, scénariste de la saison 2 de la très bonne Killing Eve, où l’on retrouve le même cynisme et les mêmes tenues girly).

Un hobby féministe

Dès la première scène, le film accroche. On y voit Cassie dans un état d’ébriété avancé dans un bar, cible de l’attention peu orthodoxe d’un groupe d’hommes au comptoir. L’un d’eux, qui semble être « un mec bien », décide de s’approcher d’elle pour la secourir. Sous prétexte de la raccompagner chez elle en taxi, il l’a ramène en fait chez lui, lui fait boire de la liqueur de kumquat (choix étonnant s’il en est) et entreprend tout simplement de la violer. C’est là que Cassie s’éveille soudainement : elle n’a en fait jamais été ivre et a tendu un piège au jeune homme. Jeune homme à qui elle fait la frayeur de sa vie, dans l’intention de lui passer l’envie de recommencer ce genre de manège. Jusque là, Cassie semble originale mais on est plutôt enthousiasmé par ce hobby inattendu et féministe.

Cassie est certes une originale mais on a pas de mal à cautionner son étrange hobby : en collant la frayeur de leur vie à de potentiels violeurs, elle les empêche peut-être de s’en prendre à une femme qui elle serait bel et bien ivre-morte. Et voir Cassie coller la frousse à ces hommes est d’ailleurs assez jouissif …

La voix de Cassie, peu présente dans le film mais qui se fait entendre au tout début, explique que tous les soirs elle va dans un bar, fait semblant d’être ivre au point de ne plus pouvoir tenir debout (donc au point de ne plus pouvoir donner son consentement), et que tous les soirs un « mec bien » vient la voir sous prétexte de s’occuper d’elle, avant de la ramener chez lui et de profiter de son état d’ébriété supposé pour la violer. Ainsi, si le film présente certains éléments de la comédie, on s’en éloigne pour souligner, sans la nommer, la culture du viol et l’hypocrisie de la société patriarcale qui fait des hommes des chasseurs s’attaquant à la plus faible du troupeau sans jamais les pousser à se questionner sur le fait que, peut-être, profiter d’une fille bourrée les exclue de la catégorie des « mecs biens » (d’ailleurs, Cassie souligne dans une confrontation avec un violeur qu’il s’est présenté plusieurs fois comme que tel, alors même qu’il était sur le point de la violer).

Sous couvert de comédie, un drame

Assez vite, le film s’éloigne de la comédie noire pour aller vers le drame, toujours avec le ton cynique et léger qui le caractérise. Le scénario devient plus sombre mais porte le spectateur en douceur.

En fait, le titre met la puce à l’oreille car on voit bien qu’il est en inadéquation avec la vie du personnage : à 30 ans, Cassie habite « encore » chez ses parents et travaille dans un café qui semble sortir d’une série Netflix pour adolescentes. Le plus étrange est évidemment la manière dont elle occupe ses soirées de weekends : en menant en bateau de potentiels violeurs.

Cassie porte autour du cou la moitié d’un médaillon en forme de coeur, s’habille comme une fille de 20 ans alors qu’elle en a 30, vit chez dans sa chambre d’enfant chez ses parents dans un quartier résidentiel tranquille où on imagine bien des gamins faire du vélo dans les années 50 … un premier signe que quelque-chose s’est arrêté dans son évolution, et d’ailleurs non seulement Carey Mulligan mais aussi les acteurs principaux ont un air assez juvénile que la mise en scène accentue en les plaçant dans des décors de style bonbonnière bleu-pastel et rose-Barbie. En effet, lorsqu’elle avait 23 ans et n’en était encore qu’aux débuts de ses études de médecine, son amie d’enfance s’est suicidée à la suite d’une soirée qui a très mal tourné puisqu’un étudiant de sa promo l’a ramenée dans sa chambre alors qu’elle était soule et l’a violée devant plusieurs camarades de promo. On se rend compte que c’est à la suite de la mort de son amie, qu’on suppose être en lien avec ce viol, que Cassie a commencé à mettre en oeuvre son plan d’éducation des violeurs. Assez rapidement le ton passe de cynique à franchement sombre lorsque Cassie entend parler d’Al Monroe, le violeur en chef de Nina, et décide de venger son amie.

Dans la première moitié du film on reste dans une ambiance assez légère puisque l’héroïne, attendrissante, trouve quand-même le bonheur auprès du parfait boy next door, et ce après avoir fait un retour en force auprès de lui et avoir supprimé son compte sur le réseau social qui lui permettait de stalker ses anciens camarades de promo. A un peu plus de la moitié du film, la protagoniste et son nouvel amoureux nous donnent à voir une scène typique des comédies romantiques américaines : alors qu’ils font du shopping à la pharmacie (Pourquoi ? Sans doute un message subliminal indiquant qu’ils sont prêts à s’installer ensemble, ce que souligner indiquer la phrase, prononcée avec humour par l’amoureux en question, « C’est une étape importante », et le fait qu’on les voit ensuite dans un lit, elle feuilletant en peignoir un magazine et lui mangeant des céréales en remarquant que l’appartement est plus sympa quand « il y a quelqu’un »), l’amoureux se met à chanter et à danser sur une musique de Paris Hilton, et la scène de la pharmacie se trouve alors entrecoupée de saynettes ponctuées de rires où l’on entrevoit la relation naissante des personnages. On se demande alors, un peu déçu.e, si cette scène est sérieuse ou ironique.

En effet, cette scène qui semble tendre vers la comédie romantique est-elle si mièvre et convenue pour surprendre le spectateur et accentuer un futur durcissement de ton, comme semble l’indiquer le fait qu’il restre encore 50 minutes de film ? C’est effectivement le cas, et après une découverte assez glauque, Cassie dit d’ailleurs à son amoureux : « Pendant un instant, j’ai vraiment cru que tout allait bien », ce qui n’augure rien de bon.

Car, Oups ! Le parfait boy next door se révèle en fait être aussi terrible que tous les autres, puisqu’il apparaît dans la vidéo qu’un ami d’Al Monroe a faite du viol de Nina, vidéo qui a été diffusée sur le campus et qui a été donnée à Cassie par une ancienne camarade.

La dénonciation d’un système dans son ensemble

Ce qui est intéressant dans ce film c’est que même si on a un coupable en chef, poursuivi par Cassie, beaucoup de personnes sont aussi indirectement complices de ce viol et de ses conséquences puisque beaucoup, à défaut d’avoir participé au viol de Nina, ont reçu la vidéo et n’ont rien fait pour aider la jeune femme dans sa plainte. Certains lui ont même donné tort ouvertement, conduisant, on le comprend, Nina à abandonner la fac et Cassie à en faire autant pour prendre soin d’elle. Tous se sont ainsi rendu complices d’un viol et complaisants avec un système qui donne raison aux violeurs plutôt qu’aux victimes, comme le montrent les échanges de Cassie avec son ancienne camarade de promo qui dit que lorsqu’on se soule et se défonce on se met forcément en danger et que lorsqu’on couche à tout va comme le faisait Nina dénoncer une relation sexuelle non consentie c’est « crier au loup », et avec la doyenne de l’université, qui avoue accorder le bénéfice du doute aux garçons, ce qui, on s’en doute, se fait au détriment de la victime présumée (on le sait, le sentiment de honte et de culpabilité est souvent présent chez les victimes de viol).

Cassie rencontre aussi l’avocat d’Al Monroe, qu’elle gracie de son châtiment et à qui elle accorde son pardon après que celui-ci lui avoue avoir fait une crise psychotique, ne plus dormir et ne pouvoir jamais se pardonner d’avoir défendu le jeune homme, entraînant par là la mort de Nina. Il évoque, et c’est intéressant, une société où les avocats ont des primes lorsque l’affaire est résolue « à l’amiable », c’est-à-dire quand la victime abandonne les poursuites, et où des avocats sont spécialisés dans la recherche de toute preuve pouvant signifier à un jury le côté dépravé, et donc coupable de la victime, en fait, toute photo ou ex-relation prouvant que la victime à un petit côté « salope qui l’a bien cherché ».

C’est donc un système entier que cherche à révéler et démonter Cassie. Cela dit, il s’agit moins d’une enquête et d’une quête de justice publique que d’une implacable vengeance, car Cassie ne peut ni veut passer à autre chose : cet évènement l’a brisée et on sent bien qu’elle est un personnage tragique, pour qui cela risque fort de ne pas bien finir.

« Etre accusé de ça, c’est le pire cauchemar d’un homme » dit Al Monroe quand Cassie le confronte. « Peux-tu imaginer quel est le pire cauchemar de toute femme ? » répond-elle.

Je ne vais pas vous mentir. Pour Cassie, le film finit mal, et on un moment l’impression que les agresseurs vont encore une fois s’en sortir indemnes. Mais non ! Tel l’implacable fatum, la vengeance de Cassie s’accomplit et justice est rendue.

Finalement, à qui le titre fait-il référence ? A Cassie ou à Nina ? Aux deux ?

Cassie est un personnage intéressant. Elle a clairement des failles, mais elle se bat dans l’ombre pour venger son amie. Plus encore, elle fait l’éducation de nombreux violeurs potentiels. Les hommes qui la traitent de « psycho » n’ont pas tort : elle se montre souvent, dans sa quête, excellente actrice, manipulatrice, et étrangement maîtresse d’elle-même dans ses accès de colère (par exemple, lorsqu’elle défonce avec une barre de fer les phares d’un automobiliste qui l’a copieusement insultée, elle le fait avec une grande froideur). On voit bien dès le début du film que c’est la colère et le sentiment d’injustice qui animent Cassie. Le film est semé de références à l’univers des films d’horreur (le petit cahier dans lequel Cassie coche implacablement le nom de ses victimes, les titres qui s’affichent sur l’écran avec un bruit sourd, des violons grinçants, un déguisement d’infirmière …). Les failles de Cassie, qui pourraient lui conférer un statut d’anti-héroïne à la Jessica Jones, sont clairement dûes aux évènements traumatisants qu’elle a vécu et finalement, elle n’est pas destinée à vivre : durant le film, Cassie est une morte-vivante, qui n’est animée que par sa quête d’une justice personnelle. Au fond, Cassie pourrait être l’héroïne féministe qu’on attendait mais ce n’est pas là où le film veut en venir.

Le message du film est clair : le système est complaisant avec les violeurs et dans l’esprit de La Boétie qui écrivait dans De la servitude volontaire qu’un « peuple de moutons fait un gouvernement de loups » nous sommes tous complices de notre propre servitude à ce système. Cependant, le film nous dit aussi qu’il suffit parfois qu’une personne se révolte. Mais à quel prix ? Cassie, à la fin, a vengé son amie ainsi qu’elle-même en punissant les violeurs, dont la vie est ruinée. Les autres (les témoins silencieux, les complaisants …) ont pour châtiment de vivre avec leur culpabiltié. Et, Cassie morte, on se demande : la mort est-elle donc le seul moyen pour une femme de faire entendre sa parole ?

Contrairement à un film comme Scandale (Jay Roach, 2019), qui aurait pu être un hymne au féminisme post me too (les évènements relatés se passent peu avant et le film est sorti juste après) mais qui peine à faire émerger un propos clair et nous propose des choix scénaristiques étonnants (une Nicole Kidman curieusement écartée de l’intrigue, le personnage de Margot Robbie mal dessiné quoi que bien joué, une motivation des personnages peu claire …), Promising young woman fait entendre, dans une mise en scène faussement légère, un message très clair sans le marteler au spectateur et se place tout à fait dans l’air du temps. On peut toutefois reprocher au film, peut-être pour plaire à un public américain un peu prude, de ne pas aller plus loin.

Unsolicited Opinion

Partager

Découvrez d'autres publications :

Pour une réhabilitation des Méduses

Pour cette semaine consacrée à la Sant’Andria et à Halloween, je vous propose de revenir sur une figure monstrueuse : la Méduse (non, pas celle qui nous fait sortir de l’eau en hurlant à Terre Sacrée, celle-là ce sera pour une autre fois).

Voir la suite »

Réactions à chaux

En juillet dernier un débat éclatait sur la toile à propos de la rénovation de la tour d’Albu, jugée hideuse. Ce débat révèle pour moi plusieurs choses intéressantes. Explication.

Voir la suite »