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Pygmalion et Galatée

Le terme "callipyge" désigne des fesses parfaites. Aujourd'hui, je vous propose l'analyse d'un tableau qui en montre un bel exemple ...

Le XIXe siècle est marqué par plusieurs courants artistiques (le romantisme, le réalisme, le naturalisme, le symbolisme, l’orientalisme – qui n’est en fait pas vraiment un courant mais plutôt une mode de certains sujets – … pour ne citer que les plus connus). Jean-Léon Gérôme est à la croisée de différents courants, et cela se voit dans sa peinture. L’année 1890 est pour lui une année prolifique. C’est notamment l’année de réalisation d’un tableau dont je vous propose ici une petite analyse : Pygmalion et Galatée.

Pygmalion et Galatée, Jean-Léon Gérôme, ca 1890/1892

Un peu de contexte …

Lorsque Jean-Léon Gérôme peint Pygmalion et Galatée en 1890, le sujet est déjà connu puisqu’il s’agit d’un mythe antique, qui a déjà été traité en peinture (quoi que pas abondamment). L’oeuvre de Gérôme se dégage particulièrement des autres, dans l’animation des chairs et la sensualité qui s’en dégage. Les corps se touchent, les personnages s’embrassent : ce n’est pas la représentation d’une idolâtrie mais celle d’un désir.

Mais avant d’analyser l’oeuvre de Jean-Léon Gérôme, il convient de rappeler brièvement de quoi il s’agit. Ici le peintre a représenté un mythe grec raconté par Ovide dans Les Métamorphoses. Pygmalion est un sculpteur chypriote qui s’est voué au célibat car il méprise le mariage en tant qu’institution. Comme il est un sculpteur de talent, il arrive à créer une statue de femme si belle qu’il en tombe amoureux. Aphrodite, déesse de l’amour et de la beauté, donne vie à la statue, nommée Galatée en raison de la pâleur de lait de son teint, et Pygmalion l’épouse en présence de la déesse. D’ailleurs, le poisson que l’on voit aux pieds de Galatée peut rappeler Vénus, née des flots (que Gérôme a représentée la même année).

Le fond et l’anachronisme de la scène

Maintenant que le contexte est posé, nous pouvons procéder à l’analyse. Commençons par le plus simple : l’angelot sur son petit nuage. Il sourit tandis-qu’il bande son arc, une flèche pointée vers le couple formé par Pygmalion et Galatée. Il représente à la fois Aphrodite et l’amour de manière générale. L’angelot est une figure commune en peinture. Ici, il est intéressant de noter qu’il ressort particulièrement, par les tons pastels qui contrastent avec le fond et par la manière-même dont il a été peint : on peut constater qu’il est moins détaillé que les protagonistes, presque flou … Après tout, ce n’est pas lui le héros. En effet, le peintre a ici choisi de ne pas mettre en avant l’amour ou Aphrodite mais plutôt le couple. L’action divine est absente du tableau (l’angelot pourrait très bien n’être qu’un topos). Notons que l’ange est figé dans son mouvement. Nous y reviendrons plus tard.

Passons au fond (c’est le moins intéressant alors il vaut mieux s’en débarrasser). Il n’est pas particulièrement détaillé. Les couleurs sont assez sombres, dans les tons de marron et vert. Le sol pourrait être de terre. C’est un fond qui rappelle l’Antiquité. Le dépouillement du décor est le signe que l’on se trouve dans l’atelier d’un artiste (on est là pour travailler, pas pour prendre le thé). Rappelons que la Grèce, à l’époque hellénistique, est connue pour ses ateliers de sculpteurs, dont les oeuvres s’exportent partout en Méditerranée et au Moyen-Orient. D’ailleurs, on peut noter la présence de deux masques de théâtre et d’un bouclier, qui n’ont rien à faire dans l’atelier d’un sculpteur mais indiquent à l’observateur que l’on se trouve bien dans l’atelier d’un artiste de la Grèce antique, ou en tous cas dans l’atelier d’un artiste qui s’inspire de la Grèce antique (n’oublions pas que les artistes de la Renaissance s’intéressent de près à la culture antique). Dans le fond, on peut voir des statuettes, dont l’une représentant une femme se regardant dans un miroir, qui pourrait symboliser le fait que Galatée est la création du sculpteur, donc une représentation de lui-même (Pygmalion, tel Narcisse, tombe en quelque sorte amoureux de lui-même et l’histoire, d’ailleurs, rappelle celle d’Eve, créée à partir de la côte d’Adam). Une autre statuette représente une femme voilée, la main sur la bouche, avec contre elle un enfant qu’elle semble, avec son bras, tenir écarté du spectacle auquel il assiste (clairement déconseillé aux moins de 16 ans). Malgré ces éléments de décor, l’époque à laquelle se passe la scène n’est pas clairement définie. Ainsi, le tableau que l’on voit en arrière-plan représente un sujet antique (on distingue des toges et les marches de ce qui pourrait être un temple) mais de tels tableaux n’existaient pas à l’époque. La présence de ce tableau indique plutôt la Renaissance. La tenue de Pygmalion (le drapé notamment) ainsi que ses chaussures, si elles rappellent une tenue antique, sont plutôt pour moi une référence idéalisée aux artistes du Cinquecento italien (sa couleur bleu-profond notamment). D’ailleurs, Galatée ne répond pas aux canons grecs antiques : son corps est trop délicat, trop fin, et ses cheveux trop serrés sur sa tête. Elle est belle, mais plutôt aux yeux d’un observateur du XIXe siècle que de l’Antiquité. Mais cela n’a pas d’importance car le peintre n’a pas ici cherché à illustrer un récit mais à représenter un moment de grâce totale.

La naissance de l’amour

Ainsi nous en venons au plus intéressant : le couple Pygmalion et Galatée. Pygmalion n’est pas monté sur le petit escalier, ce qui est intéressant car d’une part cela indique qu’il a achevé la réalisation de sa statue (le marteau semble avoir été abandonné, voire jeté, sur le sol) et d’autre part cela le met dans une position d’infériorité physique par rapport à la statue (qui non seulement est sur un piédestal mais également sur un petit échafaudage de bois). L’infériorité du sculpteur est aussi symbolique : la statue qui s’anime se penche vers lui et lui rend son étreinte. D’ailleurs, on peut noter que seul le haut du corps de la statue est penché, car le reste de son corps n’a pas fini de prendre vie (on le voit dans le dégradé des couleurs et la fixité des membres et de la posture). On peut noter que Galatée plaque la main de Pygmalion sur son corps, dans un geste passionné. C’est comme si immédiatement, alors qu’elle vient de prendre sa première respiration et n’est même pas encore complètement vivante, elle avait cherché son contact. Le fait que la statue n’ait pas encore fini de prendre vie ainsi que la position du petit ange, les doigts posés sur son arc bandé, indiquent une immédiateté de l’action (l’action vient de se produire et elle est encore en train de se produire), ainsi que le caractère passionné du sentiment amoureux (le premier mouvement du sculpteur comme de la statue a été de s’embrasser). Cela est aussi suggéré par la position du sculpteur, qui monte vers la tête de Galatée (sur la pointe des pieds, la tête levée, le corps courbé vers elle, le bras gauche autour de sa taille dans un geste d’affection qui lui donne un appui). C’est Galatée qui attire le sculpteur à elle, tant physiquement que moralement, ce qui rappelle le mythe antique (c’est la beauté de la statue qui a séduit Pygmalion, et l’a attiré vers elle).

Aussi sculpteur (voir son tableau L’Artiste sculptant Tanagra, dont le personnage semble être le peintre lui-même), Gérôme s’est plu à traiter divers sujet mais celui-ci semble lui avoir particulièrement plu puisqu’il a peint, à la même période, une version de face de la scène (qui comporte de nombreuses différences).

Pygmalion et Galatée, Jean-Léon Gérôme, ca 1890

Nous avons toujours la même scène, avec ce même mouvement des protagonistes l’un vers l’autre, une même tenue du sculpteur, mais un décor plus détaillé bien que le tableau soit peint de manière moins réaliste. J’aime ce second tableau également mais l’on n’y retrouve pas, selon moi, la sensualité du premier. D’abord, les protagonistes ressortent moins sur le fond du fait des couleurs et du style. De plus, le baiser est présenté de face, le spectateur est rapproché de la scène, et il manque dans ce tableau l’intimité teintée de voyeurisme et la part de mystère qui font qu’on est comme happé par la scène : dans le premier tableau le spectateur assiste presque en voyeur au baiser des deux personnages (dans le second tableau, nous sommes trop près des deux personnages pour imaginer que nous venons de les surprendre), qui lui apparaissent dans l’immédiateté de la découverte de leur désir et de dos, ce qui fait qu’il ne peut qu’imaginer (et l’imagination est sans doute un élément majeur du désir) ce qui est en train de se passer.

Et pour conclure …

Le mythe de Pygmalion et Galatée a inspiré de nombreux artistes, qu’ils soient peintres, musiciens, écrivains ou cinéastes, mais c’est pour moi Jean-Léon Gérôme qui en présente la version la plus intéressante, une scène sensuelle et intime qui laisse de côté la référence à l’action divine pour se concentrer sur la naissance de l’amour et du désir entre les deux personnages.

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