Pourquoi se mettre en couple en hiver ?

Le froid, la pluie, le marché de Noël. Trois arguments pour se laisser doucement glisser vers la folie du couple hivernal, voire hiverné.

Le froid, adversaire ancestral de l’humanité, s’affronte mieux à deux. Peau contre peau, chair contre chair sont nos armes paléolithiques mais la guerre a quelque peu évolué. Clim gainable, cheminée dans les appartements, pull en laine point de riz, Don Papa au petit-dej pour se mettre direct dans l’ambiance, le progrès technique a aboli la violence physique du froid. Pour les classes sociales moyennes et sup’ bien sûr, les autres sont les oubliés de notre bonne conscience planétaire. Néanmoins, le froid a su se réinventer pour contrarier la plénitude à laquelle nous aspirons tant, il distille désormais à nos portes une sensation de loose omniprésente. Une fois que l’on s’est tous extasiés sur les chocolats chauds, en général complètement chimiques dans notre chère ville, que l’on a transmuté notre sang en fromage fondu par la raclette et que l’on s’est trouvé beau à sortir en bringue dans ce col roulé bordeaux en mérinos et cachemire, le froid nous cloue le moral. Il nous offre certes l’opportunité de nous ennuyer à la maison sous le hashtag #chill mais personne n’est dupe, se frapper une saison entière d’une série ratée sur Netflix un week-end, c’est un suicide intellectuel. Une abdication. La loose.

 Lâchant les réseaux sociaux qui nous montrent à quel point l’hiver est cool loin de Corse et de France, on se décide à sortir. Voilà, on s’est acheté ce magnifique blouson avec son col de fourrure étincelant qui indique un prix emphatique, on est bien, on est beau. Malheureusement, il pleut. Le blouson n’a pas de capuche. Et il en aurait une, on ne la mettrait pas. La pluie martèle le goudron, petite litanie lancinante qui gratouille le rebord de vos neurones. Vous avez donné votre parapluie acheté chez Monop’ à votre maman par amour filial et parce que vous ne désespérez pas d’hériter. Retour dans le canap’ ou le lit, il reste à attendre. Attendre quoi ?

La pluie s’en est allée comme vos envies de céder à la tentation d’une après-midi dans un centre commercial. Oui, pour vous, c’est l’antichambre de l’Enfer, oui, il y en a trop mais pourquoi tout le monde s’y rend ? Auraient-ils raison ces êtres loin des villes et de la campagne, en plein milieu de nulle part mais un nulle part qui semble vivant malgré sa laideur bétonnée ?  Fort heureusement, la pluie s’en est allée et vos questions métapsychiques aussi.

Vos pas vous mènent vers le marché de Noël. Vous vous souvenez de la série Lost ? C’était l’époque où vous regardiez encore TF1 et plus généralement la télévision. La diégèse sérielle (la narration de la série hein…) reposait sur une alternance entre le temps « présent », les mecs sont paumés sur une île troublante, et le temps « passé », les flash-backs. Le flash-back est un procédé narratif bien pratique et connu de tous les feuilletonistes. La grande idée de Lost fut d’ajouter les flashforwards, c’est-à-dire le temps « futur ». Pas mal quand même. Ben, le marché de Noël, c’est pareil.

Zone temporelle unique au monde, s’y cumulent flash-backs et flashforwards. Cela ressemble exactement aux années précédentes, vous marchez dans les pas de votre « moi » passé, et au moment où vous vous arrêtez à ce chalet précis, pour parler aux mêmes personnes que l’an dernier, dans votre verre de vin chaud se reflète le futur, déjà connu, déjà parcouru. Vous savez où vous tituberez dans 6 heures et dans quelle bouche vous enfoncerez votre langue et autres.   

Et puis il y a une sorte de mépris typiquement hyper-urbain non pas pour le marché de Noël mais pour certains clients qui y gravitent. Tous ces gens ont abandonné la ville, questionnent votre santé mentale quand vous indiquez votre plaisir à vivre dans un endroit sans place de parking mais débarquent avec force et hurlement quand il s’agit de se bourrer la trogne en centre urbain. Marché Noël, Pêcheurs, la ville redevient soudain sympathique pour la plèbe qui la conspue du moment qu’on y balance du vin et des pains. Et puis tous ces bérets en matière synthétique pour des amateurs de Paul et Burger King, ça pique. C’est méchant et bas ? Oui, mais on a tous besoin de bouc-émissaire, surtout quand on est Corse, la faute c’est l’autre.

Alors, faiblesse humaine typique, face au froid, à la pluie et au marché de Noël, vous cochez la case en couple. Il fait froid dehors ? Cocooning à la maison ! Chérie, achetons donc ce plaid en fausse fourrure, il ira à merveille avec les chaussettes d’hiver de la maisonnée. Un petit Netflix avec un plateau de fromage à la truffe ? Mais chérie oui ! Oui ! Le 27 novembre sort The Irishman de Scorcese, petite soirée italienne à thème non ? Passons chez notre caviste nous fournir en vin rouge, ça me coutera toujours moins cher qu’une bouteille de Grey Goose en boîte pour ramener cette prépubère aguicheuse.  Le froid devient soudain beau, on se colle, on regarde émerveillé le mercure en pensant à tous ces gens qui s’emmerdent et on prépare déjà les prochaines vacances.

La pluie, soudain, dehors. Regards de braise, draps rejetés et lit qui grince. Le tempo pluvieux est absolument érotique et les heures s’entrelacent. Il faut hélas aussi modérer ce propos, si, en couple, lorsqu’il pleut, la tension n’a rien de sexuelle mais est uniquement palpable, il faut amorcer la célèbre pirouette du « courage fuyons ».

Enfin, le marché de Noël. N’est-ce pas magnifique tous ces petits chalets posés là chérie ? Ils n’ont même pas l’eau courante en plus, tu imagines ? Comme les anciens, ah c’est beau, c’est beau. Bras dessus bras dessous, écharpes colorées, tenues princières, on affiche son bonheur d’être deux, on roucoule devant une saucisse de veau tigré, on écoute les héritiers de notre culture massacrer une paghjella en full stuff Stone Island, comme nos ancêtres donc. On se moque mais c’est beau, ça sent la vie, y a un truc dans l’air qui donne le sourire et pour une fois il n’y a pas de bétonneuse à l’horizon. L’ajout de quelques arbres ne seraient néanmoins pas de refus.    

Et c’est ainsi que soudain, vous voilà en couple en hiver. Noël approchant, vous ne quitterez pas cet état. Si vous êtes l’amant ou si vous avez des maîtresses, vous la/les verrez peu jusqu’à la Saint-Valentin puis, l’été se profilant, tout reviendra à la normale.

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Salives locales

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